Chapitre 6

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PDV Darla :

Une rencontre avec le doyen s’impose. Je dois lui dire exactement ce que je pense sans mâcher mes mots.

Les actes qui ne respectent pas la déontologie m’horripilent. Les passe-droits, l’abus de pouvoir, le favoritisme, sont tout juste inadmissibles, à l’opposé de mes valeurs. Je tape trois coups sur la porte et débarque dans son bureau sans attendre.

Accroché à son téléphone, il semble avoir une discussion très sérieuse. Il aperçoit mon visage fermé, interrompt aussitôt sa communication et d’un geste de la main m’invite à prendre place.

– Miss Harris, ravi de vous voir, profère-t-il d’une voix suave.

– L’éducation bafouée, malmenée par vos politiciens ! Je ne cautionnerai jamais cela, vous entendez ! Cette mascarade ne franchira pas le seuil de mon bureau. Discours chimériques, galas de charité, nos étudiants en ont plein les yeux ! Tous les moyens sont bons pour gagner des voix. Qu’en est-il en réalité ?

Il me sort sa voix douce et son sourire hypocrite pour tenter de me calmer. Je ne suis pas un animal curieux que l’on essaye d’apprivoiser.

– Asseyez-vous d’abord madame. Je ne vois pas de quoi vous parlez.

– Je ne suis pas venue pour des salamalecs. Je déborde de tâches importantes à régler. Les frères Wilson ! Grogné-je.

– Mais voyons Darla ! En quoi y voyez-vous une méprise envers notre institution ? Aucun étudiant n’a été privé de sa place. Ils seront désormais cinq au lieu de trois.
Passer de Madame Harris à Darla est une habitude chez le doyen dès qu’il flaire mon mécontentement.
– La liste d’attente est longue mon cher. Le classement est le seul critère d'éligibilité. Je reçois chaque jour des dizaines de mails. Des étudiants lauréats des quatre coins de la planète me supplient de leur accorder une chance. Pour une moyenne en deçà de 0,25 on leur refuse le stage. En revanche vous accordez deux postes pour les fils du maire alors qu'ils sont loin du premier rang.
– Leur père nous a tendu la main quand nous en avions besoin, Darla. C'est notre plus grand sponsor.

– Sponsor vous dites ? Il a monnayé les places de ses deux fils en vérité. Un conseil : demandez-lui d’acheter une encadrante à ses prodiges car je refuse catégoriquement de les enseigner.

– S'il vous plait Darla, dit-il en serrant mes mains. Je vous promets de soutenir le reste des étudiants et de profiter autrement de cette chance. Les frères Wilson peuvent changer la vie de pas mal d'entre eux ici. C'est tout un investissement pour la science. Leur père a déboursé des milliers de dollars pour restaurer le laboratoire de recherches.

– Je suis désolée, ce n’est pas à l’image de notre institution, il en va de sa réputation et de la mienne en l’occurrence.

– Je t’en prie Darla. Tu es mon seul et dernier espoir.

Le tutoiement témoigne de sa faiblesse.

Il est sous pression depuis longtemps, j’en suis convaincue. Les politiciens ne le lâcheront pas. Une brebis dans une meute de loups !

– Une seule année, pas un jour de plus ! Dis-je.

– Pardon ? Demande-t-il perplexe.

– Je les encadrerai pendant un an, tu n'auras qu'à chercher une autre prof pour l’année suivante.

– Merci, dit-il soulagé.

Ses traits se décontractent. Je quitte la pièce d’un pas ferme pour regagner mon bureau.

– Au fait, je n’assisterai pas à la cérémonie d'ouverture ni à la conférence de presse. Je te laisse faire l’éloge de tes sponsors politiques ! Duper l’auditoire n’a jamais été dans mes trempes.

– D'accord je vais le faire à ta place, je me chargerai de la presse. Ne t'inquiète pas Darla, personne ne saura.

– La plateforme d'inscription en ligne permet à tout le monde d’avoir accès aux listes des thésards ! Préparez-vous tous à une grosse surprise pendant la cérémonie ! Croyez-moi !

– Les frères Wilson ne sont pas inscrits sur notre site, ne t'inquiète pas.

– Un master au black ? Quelle mafia ! Lancé-je, en claquant la porte derrière moi.

Je me dirige vers les toilettes pour ajuster mon maquillage et me rafraîchir. La migraine monte, attise ma nervosité. Un coup d’œil dubitatif dans le miroir, plus de rouge à lèvres et quelques mèches rebelles. J'ai l'air épuisé. Je corrige ce petit désastre, je respire un bon coup et j'appelle Olivia.

– Miss Harris ? murmure une voix douce à l'autre bout du fil.

– Olivia, il y a encore des gens dans mon bureau ?

– Oui Madame, ils sont encore là !

– D'accord, tu leur annonces que j’assiste à une réunion à huis-clos. Tu me rejoins tout de suite sur le parking avec les trois thésards. Au fait, ma voiture est devant le département. Ni mes étudiants ni moi-même n’assisterons à leur carnaval de cérémonie. Nous irons au Palais des Sciences.

– Iram est avec moi, l'étudiante Jing n'est pas encore arrivée, elle quittera son pays dans une semaine. Lucas assiste déjà à l'ouverture, je vais l'appeler tout de suite.

– Ne t'en fais pas, apporte celui que tu as entre les mains. Je ne veux plus passer une seconde de plus dans cet endroit.

Je raccroche sans attendre sa réponse.

Peu de temps après, Olivia rapplique avec mon nouveau thésard. 

Un visage qui m'est familier !

Miss DarlaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant