L'aéroport Charles de Gaulle est populeux ; des milliers de pas perdus frôlent le sol entre deux pays. J'essaie de ne pas perdre Darla de vue.
Paris oblige ses visiteurs à s’impliquer parfaitement dans un rythme de course infernale. Si quelqu'un abaisse son rythme il perd ses compagnons.
Dès les premiers instants, on doit maitriser le contrôle du corps. Tout le monde doit se croiser sans vraiment se toucher. Les accidents corporels ne font que ralentir la course.
Le « R » français se joue comme un écho. L'accent fluide me semble incompréhensible.Après neuf heures de vol dans une cabine calme je me heurte à une articulation rapide. Darla gère bien la situation, elle ne trouve aucun mal à poser ses questions aux agents de sécurité.
Bagages en main, un agent nous guide pour réactiver les cartes Sim. Une chose est sûre : Darla a dû visiter ce pays des milliers de fois. Elle en connait tous les détails.
Réfugier
Nous nous réfugions au cafétéria pour nous reposer un peu. Darla doit passer certains coups de fil avant de sortir. Je me charge de commander deux cafés au lait et deux croissants aux amandes. La France est connue pour sa pâtisserie.L'odeur de la caféine, servie par une jeune dame africaine souriante qui manie bien sa machine, rafraîchit mes sens. L'odeur du beurre se dégage des fours et embaume l'endroit.
Je reviens à notre table, elle semble toujours plongée dans ses e-mails. Je dépose les deux plateaux délicatement pour finir par plonger mon croissant dans la tasse généreuse.
L'appel sur Messenger m'extirpe de tout ça, mon téléphone a dû capter le wifi de la cafétéria :
– Maman.
– Iram, tu m'entends,
Finalement la photo se stabilise ; un petit problème de voix persiste à cause du débit.
– Bien arrivé ?
– Je viens d'arriver, oui. Je quitte dans une demi-heure.
– Parfait ! Le voyage s'est bien passé ? Tu as bien dormi ? Tu as bien mangé ?
– Oui, dis-je embarrassé face à Darla.
Je cherche mes écouteurs dans mes poches sans les trouver, je baisse donc le son.
– Elle est où Lonar ?
– Elle essaie ses vêtements. Mon fils, encore du gaspillage ? Pourquoi toutes ces dépenses ? C'est trop !
– Merci mon frère pour les cadeaux, crie Lonar en venant accoler ma mère.
A travers l'écran, je remarque plusieurs sacs de boutiques et des jouets neufs éparpillés partout. D'où vient tout ça ? Je reste un moment silencieux.Ah ! Je me rappelle l'enveloppe d'argent que j'ai laissée lors du conseil disciplinaire. L'administration a dû rembourser ma famille en guise d’excuses. J'ai écrit sur la feuille du questionnaire que je devais acheter de nouveaux vêtements pour ma famille ! Soudain mes yeux s'allument ! Ça ne peut être que Carmen derrière ces cadeaux.
En écoutant notre conversation, Darla cache un sourire amusé au coin :
– Passe le bonjour à ta famille Iram.
C'est le premier contact qui brise la glace. Quand je me rappelle ce qui s'est passé durant le vol, mon cœur s'emballe dans un rythme fou. Je frissonne. Un double stress me submerge.La réaction de Darla était douce. Elle préférait garder le silence. Nous n'avons pas eu l'occasion de décortiquer l'incident.
Le reste du vol, je dormais jusqu'à l'atterrissage. Parfois je souhaite briser la glace, m'excuser, considérer que l'alcool était la seule cause et que dans mon état normal je n'aurais jamais commis cette bêtise. Bêtise ? C'est loin d'être une bêtise !
– Allez on y va ?
Je termine la dernière bouchée de mon petit déjeuner. Comme d'habitude, Darla ne mange rien, ou presque. Que du grignotage. Je vérifie toutes mes affaires : téléphone passeport, bagage à main, sac à dos et je suis Darla tout en poussant le chariot des valises.
Sur notre chemin, nous croisons des gens qui s'embrassent, d'autres qui pleurent. Personne ne peut demeurer indifférent face aux cris des adieux et des retrouvailles. Un agent nous accueille avec un sourire large. Il prend la responsabilité du bagage et nous désigne de prendre place dans la voiture.
La Berline noire démarre finalement nous conduisant loin de ce monde fou. Dix heures vingt du matin. Il pleut. L'écran de bord marque vingt degrés.
Au bout de vingt-cinq minutes, la tour Eiffel apparait de loin, une merveille indéniable. Je prends en cachette mon téléphone pour saisir la beauté des rues. Par la suite, la voiture se gare près du grand jardin.
– On va descendre vite fait, on ne va pas tarder ! Prends juste le nécessaire, m'informe Darla en remettant son cache-col autour de son cou.
Je prends mon petit cartable ; j'y insère mon portefeuille, la moitié de mon budget de séjour, mon téléphone et mon chargeur. Je laisse mon sac à dos et descends en suivant les pas de Darla.A notre grande chance, la pluie s'arrête, laissant l'odeur du petrichor au grand bonheur des amateurs. Quelques minutes après nous nous arrêtons devant la fameuse Carette : Un très beau café aux alentours de la tour.
– Bienvenue dans votre pays Darling, crie Matilde en ouvrant ses bras, ça y était votre voyage ?
Je me contente de lui serrer les mains avec un sourire avenant.
– Ils sont où les autres ? se demande Darla en tirant une chaise pour s'asseoir.
– On les a libérés pour deux heures afin qu'ils découvrent les lieux.
La table n'est pas vide ! Habitée par un sexagénaire et une dame qui ne me sont pas familiers.
Darla semble les connaitre. Je suis donc le seul inconnu dans ce groupe. Durant ce genre de réunions je ne bouge nulle part des côtés de ma prof.
– Muhamet, je vous présente Iram, c'est l'un des thésards de Darla, classé le deuxième sur sa liste.
L'homme me tend sa main de façon courtoise.
– Vous n'êtes pas allé avec vos collègues vous amuser ? Me demande-t-il gentiment.
– Non, il était dans le même vol avec Darla. Ils ont décollé à minuit, explique Matilde gentiment, il est le deuxième sur sa liste et le premier dans son cœur.
– C'est bien jeune homme, il faut toujours faire la différence là où on met le pied !
– Je ferai de mon mieux, dis-je, les joues enflammées.
Les trois dames lancent un petit rire au coin à l’écoute de mes propos.
– Vous préférez une réunion avec les dirigeants à une balade avec les dirigés. Vous gagnerez vite de l'expérience, mais vous perdrez les jeunes demoiselles de Paris.
– Si Darla le permet, lance Matilde d'un air malsain, qu’en penses-tu mon amie ?
– On décidera quant à sa liberté, lance mon enseignante
L'homme dépose son cigare dans le cendrier :
– Alors monsieur Iram, êtes-vous au courant du changement de plan ?
– C'est lui qui a changé le plan, réplique Matilde.
L'homme reste ébahi par ses propos cherchant plus d'explications :
– C'est lui qui a inventé cette solution pour dépasser la crise.
– Je vois ! On m'avait parlé du problème c'est vrai ! C'était quoi la cause ?
– C'est lui qui a créé le problème aussi.
Les deux femmes sont prises de fou rire.
– Vous faites vos études à Washington ? Vous les Américains vous êtes des génies !
– Oui. Vous êtes d'origine arabe monsieur ?
Maintenant les trois femmes étouffent ensemble dans un fou rire. Je rougis d'avantage, un peu nerveux.
– Il est d'origine algérienne ! dit Matilde à bout de force.
– Lui c'est un vrai Andalou, je dirais un Marocain ou un Espagnol... reprend la femme.
– Non je suis Français, ma mère est Turque. C'est elle qui m'a attribué ce nom Muhamet. Quand elle était là, à Paris, explique-t-il entre deux gorgées de caféine, elle adorait m'emmener avec elle visiter les mosquées, les sites archéologiques, les galeries d’art… le vieux beau temps mon fils.
– Qu'elle repose en paix
– Elle est encore vivante.
Darla bondit de sa chaise emmenant son amie avec elle. Elles rient comme des folles dans la rue attirant le regard des passagers. Elles me prennent pour un enfant audacieux qui essaie de gagner toutes ses guerres sociales. Elles n'ont pas arrêté de me taquiner.
– Les femmes sont capables de former un team en quelques secondes, ricane Muhamet
– On formera donc notre propre team, le team des hommes.
– NON merci, Moi je préfère les femmes.
Marché perdu...
Darla s'amuse en me voyant galérer pour bien gérer la situation. Elle me lance son regard vengeur, torturant, droit dans les yeux. C'est ça ! La vengeance comme réaction à ce que j'ai commis hier.
Le reste de la conversation se passe dans le calme, je ne suis plus le clown. Ils s'intéressent à leurs affaires maintenant et je préfère garder le silence.
Muhamet ouvre un paquet de cigares récemment entamé et m’en tend un. Je me contente d’un simple merci.
– Vous ne fumez pas devant vos encadrants jeune homme, c'est bien.
– Vas-y Iram, tu peux fumer, Me réconforte Darla sûre d'elle.
Ça y est, je suis entré dans son jeu et elle prend les manettes en main. Muhamet me donne un briquet sophistiqué que je ne peux allumer tout seul. Darla me regarde toujours, avec ses yeux qui m’anéantissent.
Embarrassé, j'arrive finalement à m'en servir.
– Il sait tout faire cet homme, Il m'étonne de plus en plus, me contemple Matilde.
– Moi aussi, il m'étonne parfois, ajoute Darla
A ce moment, je trouve du mal à avaler ma salive ; moi, qui fais semblant depuis le matin d'être amnésique.
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Miss Darla
RomanceIram Al Andaloussi, issu d'une famille de paysans, remporte un prix pour sa thèse en sociologie, une réussite qui lui ouvre les portes de la faculté de Washington, un rêve enfin exaucé. Privilège accordé, on l'intègre à Miss Darla pour passer son st...