PDV D'Iram :
Elle ôte son blazer, le dépose délicatement sur le sofa et s'allonge. Les couloirs sont désertés, les voix diminuent petit à petit. Vendredi, quatorze heure trente, personne n'a cours. Quelques étudiants flânent encore devant la bibliothèque.
La salle des profs est vide, le rectorat aussi. Même Olivia vient de quitter les lieux.
J’observe Darla sans lui poser aucune question. Notre rencontre est due au hasard. Noah m'a mêlé dans cette affaire. Que-ce que je fais ici ? Dois-je demander sa permission pour rentrer chez moi ?
– Assieds-toi Irm, dit-elle en fouillant dans son téléphone.
Elle a toujours du mal à prononcer mon prénom correctement, oubliant le A au milieu.
Je m'exécute en silence. Je n'ai pas l'habitude de la voir allongée sur un fauteuil avec seulement un débardeur et un pantalon noir collé au corps.
L'éclairage est apaisant, les stores sont presque fermés. L'odeur, quant à elle, est identique partout : dans la voiture, dans ce bureau, dans cet ascenseur, sur son manteau, dans son souffle. Darla parfume tout ce qu'elle touche.
– As-tu commencé la rédaction ? me demande-t-elle.
Immobile, j’essaye de camoufler mon ivresse :
– Je cherche encore des idées. Je ne vais pas tarder à établir un plan.
– Que penses-tu du sujet ?
– Comme vous l'avez mentionné, la violence conjugale est répandue mais ce n'est pas un thème original.
Je pince les lèvres, juste après avoir sorti ces paroles. Moi qui voulais passer inaperçu, c’est raté.
– Ah ! Tu as assisté à mon cours avec les premières ?
– Oui. C’était excellent.
– As-tu pris quelques notes au moins ? demande-t-elle avec une lueur d'enthousiasme dans les yeux.
– Je pensais à autre chose honnêtement ! Répondis-je finalement.
Intriguée par ma réponse, elle dépose son téléphone et me regarde droit dans les yeux.
– Pourquoi ne pas parler d'une autre violence contre les femmes ? Les femmes qui se trouvent seules à soutenir leurs enfants ? Les femmes qui font tout pour l'éducation, l'hygiène, et la nourriture de leurs enfants alors que leurs époux désertent le foyer. Il y a des "Single moms" certes ! Mais il y a aussi des femmes célibataires au sein du couple ! dis-je.
– Je sais que c’est ton sujet de thèse.
Cette déclaration me réjouît. Elle a lu nos thèses en deux mois ! Sa réponse fait preuve d’une certaine curiosité. Elle a dû fouiller dans mon CV.
– Le soucis c’est que nous n’avons pas assez de temps, nous avons donc divisé le travail en trois parties. Une pour chacun d’entre vous, dit-elle.
– Je peux travailler sur deux parties si vous voulez.
– Je ne veux pas t’imposer deux sujets à la fois, lance-t-elle en grimaçant.
Résigné, je lui fais un signe de la tête.
– Écoute tu me promets tout d'abord de garder ça comme un secret.
Son regard me donne l’impression d’être unique, favorisé, chanceux. A cet âge, le chouchou de la prof...
– Nous allons participer au festival de Cannes à Paris. De grandes stars seront présentes. Le thème de la violence conjugale sera mis en avant, nous aurons l’opportunité de signer des contrats avec des scénaristes. Qui sait ?
Cette recherche servira comme une assise à nos futurs thésards.– Les Français aiment attribuer une touche spéciale à chaque sujet ! Nous pouvons mettre en scène, disons en scénario, deux femmes, meilleures amies du monde ou voisines. L'une divorcée, un enfant, moyens financiers restreints, et la seconde maltraitée avec ses gosses par un époux violent. Deux vies qui se croisent. Le dilemme entre dignité et pauvreté d’une part et maltraitance et confort matériel d’autre part.
Je vois une lueur de stupéfaction dans ses yeux. Que je ne peux traduire.
– Que pensez-vous de laisser de côté le plan des thèses, et chercher à nous inspirer pour le scénario, le synopsis, les dialogues, le cadre temporel, la description physique et morale, la gestuelle ? J'ai fait trois ans de théâtre pendant mes années collèges. Vous pouvez compter sur moi, ajouté-je face à son silence.
Elle bondit de sa place, s'approche de moi et met sa main sur mon épaule.
– Allez, enlève ! Dit-elle.
Je ne bouge pas, il se peut que je n’aie pas bien entendu.
– Enlève ta veste et prends ma place dans le bureau. On va commencer le travail dès maintenant, insiste-t-elle
Elle ouvre l'armoire en bois qui se trouve au coin. À ma grande surprise elle contient un système de réfrigération tout comme un frigo. Elle se sert de deux grands verres à pied et une bouteille de vin rosé, les pose sur la petite table alors que je me sers du porte-manteau pour déposer ma veste.
– Allo !
– Madame Harris, un grand plaisir de vous rejoindre ! En quoi puis-je vous aider ? dit une voix à l'autre bout du téléphone.
– Avez-vous un stylo ? Prière de noter : Deux quiches lorraines, deux plats de steak tartare avec ce qu'il faut comme salade et frites, deux gratins dauphinois. Pour le dessert j'aimerais deux fondants au chocolat moelleux et des fruits selon votre goût.
– Noté Madame, je vous propose comme entrée une bouillabaisse ou une petite assiette de bœuf bourguignon.
– Je commande les deux dans ce cas, le plus tôt possible dans mon bureau.
– Nous serons là dans une heure Madame.
Elle dépose son téléphone, étale ses papiers sur la petite table du salon et m'invite à me servir de son bureau et de son ordinateur.
– Spécialité française, dis-je après avoir entendu le menu.
– J'aimerais bien me mettre dans la peau des Français dès maintenant.
Je sirote mon verre de vin tout en écrivant les premières lignes. Parfois mes yeux croisent les siens, je baisse la tête, le visage en feu.
– Tu t’inspires de moi ?
– Certes, vous êtes une source d'inspiration ! Mais vous ne collez pas à ces profils de femmes battues, violées...
– On peut être violée de mille façons, dit-elle le regard vide.
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Miss Darla
RomanceIram Al Andaloussi, issu d'une famille de paysans, remporte un prix pour sa thèse en sociologie, une réussite qui lui ouvre les portes de la faculté de Washington, un rêve enfin exaucé. Privilège accordé, on l'intègre à Miss Darla pour passer son st...