Chapitre 11

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Flash back

L’ouverture officielle du restaurant "A orillas del mar" a eu lieu il y a quelques semaines. Quelle découverte ! J'ai l'impression d'être dans un grand yacht. La décoration est particulière, un bar en bois rouge, des chaises confortables, une musique vivante en arrière-plan. Une spécialité espagnole !

La soirée se passe calmement. La présence de Mathilde est toujours la bienvenue dans nos réunions et me permet d’oublier les affaires saugrenues des politiciens dont celles de mon mari.

Quant à Iram je le trouve de plus en plus brillant, affichant des connaissances impressionnantes dans divers domaines. Un homme cultivé que l’on ne manque pas de remarquer. Bien qu'il soit classé troisième sur ma liste de thésards, j'ai l'impression qu'il devance déjà les deux premiers par son intelligence émotionnelle.

Je sais que quelques collègues tentent d'attirer son attention, malgré la différence d'âge, ce qui me rend perplexe. Ces femmes feraient n’importe quoi pour assouvir les besoins de la chair.

Je savoure quelques coupes de champagne ; Iram, quant à lui, se contente d’un verre qu’il sirote pendant de longues minutes.
Je ne suis pas réputée sociologue pour rien. Les indices ne trompent pas. Il a beau mettre un costume élégant et des bottines de valeur, ses mains sont celles d’une personne qui travaille dur. Avec sa peau naturellement hâlée, je ne serai pas surprise de savoir qu’il a travaillé dans les champs ou dans le bâtiment. Son eau de toilette, bien que délicieuse, n’est sortie d’aucune parfumerie que je connaisse ; j’en mettrai ma main au feu.

Je comprends son embarras et sa tentative d’échapper à mon invitation depuis le début. Je m’approche de lui en lui susurrant :
– Profite de ta soirée. C’est moi qui t’ai invité. Moi aussi j’étais étudiante à ton âge.

Je m'éloigne un peu de la foule pour profiter du paysage. L'architecture du restaurant, entouré par la mer, est en forme de coquille. Je respire l'iode à plein poumon.

– À quoi pensez-vous ? M'interrompt une voix.
Une voix plus détendue que tout à l’heure.

– Je fais des souhaits. J’en faisais toujours quand j’étais enfant. La mer a pour moi différents visages, la regarder m’apaise beaucoup.

– Et que souhaitez-vous ?

– Curiosité quand tu nous prends. Tu penses pouvoir réaliser mes rêves ?

– Il y a quelques années j'ai dû prendre un petit job pour couvrir mes charges de recherches. J'ai dû me déguiser en père Noël dans le petit manège de la ville durant dix jours.

J’esquive un léger sourire.

– Ah là, ça change tout, puisque tu es le père Noël, je souhaite avoir deux cigarettes.

– Vous fumez ? Me demande-t-il, ce n'est pas bon pour la santé.

– Tu étais déguisé en Doctor House également ?

– Et quelle marque de cigarettes voulez-vous ?

– Selon ton goût.

Au bout de vingt minutes un quadragénaire descend d’un taxi s’arrêtant devant le restaurant, et nous tend deux paquets de Dunhill rouge.

C'est la première fois de ma vie que je me sens aussi à l’aise avec l'un de mes étudiants. Je ne dois plus boire dans un contexte professionnel ! Nous fumons tous les deux sur le toit, en causant de tout et de rien. Une soirée de pleine lune qui ne manque pas de m’émerveiller.

– Contemple la lune. Dis-je après un moment de silence.

Au lieu de lever la tête, Iram se tourne vers moi et me fixe du regard :

– Laquelle des lunes ?

Lui non plus, il ne doit pas tenter l'alcool en milieu professionnel !

A deux heures du matin je rentre à mon appartement pour éviter de croiser cette sorcière qui me sert de belle-mère. Ma tête tourne, je galère pour garder mes yeux ouverts durant le trajet.

Le sommeil a eu raison de mon étudiant. Je lui offre mon canapé pour finir sa nuit.

Un réveil tôt le lendemain.
Ne voulant pas attirer l'attention des voisins, je lui glisse un billet dans son porte-monnaie, lui écris une note et sors.

J'appelle Ladona afin qu’elle puisse garder un œil sur l’entrée du bâtiment et sur Iram au moment où il quittera les lieux. Les journalistes envoyés par les ennemis de mon mari cherchent la moindre faille. Il en va de sa réputation mais surtout de la mienne.

Je quitte la maison à six heures du matin pour pouvoir tout ranger avant l'arrivée de l'ambassadeur français.

10 :03

Je vérifie mon écran de téléphone chaque instant. Aucune notification ! Je suis impatiente !

Et d'ailleurs je ne comprends pas pourquoi mon cœur bat la chamade à chaque fois que j'entends un bip, même celui d'un autre téléphone. Je crois halluciner et pourtant ma boîte de messages reste vide. A part celui de Ladona me qualifiant d’« impatiente » je ne sais pour quelle raison.

10 :15

L’écran s’allume enfin comme par magie !

« Ton plan cul a quitté la résidence »

J’entends les battements de mon cœur s’accélérer, je ne peux m’empêcher de sourire. Il a fait la grasse matinée chez moi ? C’est un parfait inconnu, mais je lui fais entièrement confiance. Je ne le vois pas flâner dans toutes les pièces de l’appartement Je suis certaine qu'il n'a même pas utilisé la salle de bain.

« Où va-t-il ? »

La réponse ne tarde pas à venir :

« Euh je ne peux pas lire dans ses pensées. Tu veux que je change sa direction ? Il ne me dira pas non. Nous avons le même âge n’est-ce pas ? »

Je lève les yeux au ciel face à cette allusion perverse de Ladona. Mon amie est une vraie croqueuse d'hommes. Je verrouille mon téléphone pour répondre à l'un de mes invités. Puis mon esprit gambade.

« Il est à la faculté. Je vais faire la détective encore longtemps ? »

Je suis troublée rien que de savoir qu'il est dans le même établissement que moi.

« Merci ma chère. Je te suis reconnaissante. Tu peux rentrer. »

Ladona ! Impossible de concevoir ma vie sans elle. Ma meilleure amie, mon alter-ego. La seule femme devant laquelle je me dévoile à nu, oubliant mes habitudes protocolaires.

« Ne fais pas l'innocente ! On se verra ce soir. Tu vas cracher le morceau à tout prix. »

J’obtempère et continue mon travail qui avance parfaitement grâce à l’assiduité et à l’organisation d’Olivia.

A seize heures, je quitte finalement mon bureau pour aller donner un cours aux étudiants de la première année.

Une grande foule m'attend devant l'amphi. Toute la promotion est présente. En me voyant, les étudiants se précipitent d’entrer pendant que je branche mon portatif.

Les deux heures se sont presque bien passées, malgré les chuchotements qui s'entendent aux derniers rangs. L'enthousiasme des nouveaux étudiants est puéril. Leurs petites histoires de lycée ne stimulent pas les méninges des professeurs. Je ne les aurais que deux heures, Dieu merci. Rendez-vous au deuxième cycle.

A dix-huit heures, je me hâte de quitter les lieux avant d’être submergée par leurs questions futiles et leur envie de se faire remarquer. J’aperçois soudain un vert émeraude qui m’est familier.

Mon téléphone vibre au même moment. Ladona doit être au bout du fil. Je regarde l’écran avant de relever la tête.
À ma grande déception, il a disparu.

Miss DarlaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant