Boreo

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ATTENTION : mention de pensées suicidaires. Tentative de suicide. Mutilation.


Je veux partir

°°°


« Lights Are On » de Tom Rosenthal.

Il veut disparaître. Il l'a toujours voulu. Mais ce soir l'envie est encore plus puissante. Il ne veut plus vivre, toutes ces épreuves l'ont épuisé. On dit que la vie offre les plus dures batailles aux soldats les plus forts. Il n'était pas un soldat. Il était un enfant de treize ans qui avait des rêves pleins la tête. Il voulait passer le plus de temps dans le musée qu'il adore, accompagné de sa mère. Il voulait profiter de sa jeunesse, assumer qui il était. Il a besoin de Boris, il ne voulait pas tout ça.

C'est en se regardant dans son miroir qu'il pense à sa vie. Les images de son enfance défilent dans sa tête. Il ferme les yeux. La douleur lancinante dans son crâne redouble d'intensité. Sa chemise blanche est déchirée au niveau du col, ses cheveux en bataille encadrent son visage baigné de larmes. Son cœur lui fait terriblement mal, il l'attrape avec sa main, comme s'il voulait l'arracher. L'épuisement se lit sous ses yeux, ils ne s'illuminent plus. La vie lui a fait endurer trop de choses, il est conscient de sa souffrance quotidienne, il sait qu'il peut seulement sauter d'un pont ou se balancer au bout d'une corde pour en finir définitivement. Il veut le faire, il en a terriblement envie. Ses pupilles bleues fixent son reflet. Il fait peine à voir. Ses yeux sont rouges, son nez dégouline de morve et son corps tremble comme une feuille en automne. Il projette son poing dans le miroir. La vitre se brise en dizaine de morceaux, certains s'incrustent dans sa chair, des gouttes de sang se déposent dans le lavabo, colorant les bouts de verre. Il repose de nouveau son regard devant lui, il n'y a plus rien. Juste le noir complet. Le vide. C'est ce qu'il ressent. C'est ce qu'il ressent tous les jours depuis ce fameux accident. Bien des fois il a tenté d'en finir, le poids de la culpabilité était trop dur à supporter. Il n'a jamais réussi. Ce sont ses plus beaux échecs. Maintenant le voilà, se tenant au bord d'un lavabo dans une salle de bains luxueuse. Ses vêtements sont déchirés, son visage est déformé par les pleurs et sa main droite tient un morceau du miroir. Il le fixe avec intensité. Son membre tremble, les bords sont tranchants, la lame rentre peu à peu dans sa paume de main. Il le serre de toutes ses forces, ce bout de verre qui détient sa vie. Il jette férocement l'arme contre le mur, des projectiles explosent de tous les côtés. Il s'effondre en larmes contre la baignoire, son dos glisse lentement contre le mur de marbre. Sa manche est tâchée par le liquide rougeâtre, du sang s'écoule abondamment de sa blessure. Il veut mourir, il le souhaite de tout cœur. Sa vie n'a été qu'un échec. Le manque de sang commence à lui faire perdre la tête. Il se met à rire en frappant des mains, cette action lui soutire un cri de douleur. Il avait oublié l'ouverture béante dans sa paume. Avec le peu de forces qu'il lui reste, il se laisse glisser jusqu'à atteindre le robinet. Il active l'eau chaude et se fait couler un bain. Il se glisse ensuite dans l'eau bouillante, sa peau rougit instantanément. La fumée engloutit la pièce, une toux grasse l'empêche de respirer. Il ne lutte pas, il se laisse se faire ébouillanter vivant. La douleur physique est atroce, il hurle à pleins poumons mais n'essaye pas de sortir. La douleur lui fait du bien, il est près de la fin, il le sait, il sourit. Sa souffrance s'apaisera enfin. Le poids du regard des autres, l'acceptation de son orientation sexuelle, le syndrome du survivant. Tous ces poisons seront loin derrière lui. Il se le souhaite. L'eau de la baignoire déborde, des vagues claquent contre la porte fermée à doubles tours. Personne ne pourra l'aider, personne empêchera son rêve de se réaliser.

Son mal de tête s'estompe au fur et à mesure que le sang coule sur le carrelage. Il se sent partir, il aime cette sensation. Il ferme de nouveau les yeux, toutefois, cette fois, il sait qu'il ne les ouvrira plus jamais, il adore cette idée.

Soudainement, un grand fracas retentit. Il était trop tard.

- Potter ! hurle une voix avec un fort accent ukrainien. Merde !

Son corps est sorti précipitamment de l'eau. Boris colle tout de suite son oreille contre sa cage thoracique. Il ne perçoit aucun battement. La rage et la panique oppressent ses poumons. Il ne peut pas le perdre, pas comme ça. Boris exécute immédiatement un massage cardiaque, le corps de Théo ne réagit pas. Après une dizaine de minutes, le noiraud arrête. Il attrape son téléphone et compose le numéro de secours en continuant de stimuler le cœur du blond.

Une équipe médicale prend en charge le blessé en urgence, le noiraud se précipite dans sa voiture pour suivre l'ambulance de près. Il n'est au courant de rien, il ne peut que prier pour que son ami s'en sorte. La respiration de Boris est saccadée, ses mains tremblent sur le volant, l'angoisse serre son cœur. Il est terrifié.

Arrivé devant l'hôpital, on le fait patienter dans la salle d'attente. Les murs sont blancs, trop blancs. Les sièges sont espacés d'un mètre ou deux. Il n'arrive pas à rester assis. Son ami est peut-être mort et il doit rester sans rien faire ? Il en est hors de question. C'est son mari bordel !

Suite à de longues heures à patienter, un médecin arrive au niveau de Boris, celui-ci s'approche avec rapidité de l'homme.

- L'état de votre mari est stable, grâce à vous. Vous aurez patienté encore deux minutes et il était mort. Il demande à vous voir.

Pavlikovsky hoche la tête en serrant amicalement la main du docteur. Il prend une profonde respiration et pousse les portes de la salle. Les yeux bleus de Théo se posent directement sur lui, une vague de larmes submerge le blond. Boris s'assoie sur un siège à ses côtés et lui prend délicatement la main.

- Tu veux en parler ? murmure le noiraud à son attention.

La gorge de Decker se noue.

- Je voulais en finir Boris, je voulais quitter ce monde sans retour possible.

Les paroles de son amoureux lui font l'effet d'un poignard dans le cœur. Il se retient de pleurer à son tour.

- Ma décision est prise, je ferais un suicide assisté, affirme Decker en plantant ses iris dans celles de son mari.

Cette fois-ci son masque se fissure, une larme roule sur la joue de Boris.

- Je ne pensais pas que c'était si intense. Pourquoi tu ne m'en as pas parlé avant ?

- C'est quelque chose qui me hante depuis des années, je ne peux plus faire comme si de rien était Boris. Je souffre terriblement.

Pavlikovsky secoue la tête de bas en haut. Il bascule son corps contre le dossier de son siège, sa main ne quitte pas celle de son mari.

- J'aimerais que tu sois à mes côtés, demande le blond.

C'est la goutte de trop pour Boris, il se lève violemment de sa chaise et éclate en sanglots :

- Tu es en train de me dire que tu veux te buter et tu souhaites à ce que j'assiste à l'exécution de mon grand amour ?!

Théodore se ronge la lèvre inférieur, les larmes lui brûlent les yeux. Il essaye de ne pas montrer son chagrin mais c'est peine perdue :

- C'est tout à fait ça.

Boris respire un grand coup et passe ses mains sur son visage.

- C'est vraiment ce que tu veux ?

- Oui.

La sincérité de sa réponse créée une fissure dans le cœur de Boris. Il observe son mari pour la première fois : son teint est aussi blanc qu'un linge, des cernes violacées ne sont plus cachées par ses lunettes. Sa robe bleue d'hôpital lui donne la mine d'un malade. Il l'est, malade. Un sanglot passe la barrière de ses lèvres.

- Je t'accompagnerai. Je serais à tes côtés pour le meilleur et pour le pire, dans la maladie comme dans la santé. Jusqu'à...ce que la mort nous sépare.

Les pleurs de Théo redoublent d'intensité. Boris quant à lui vient déposer un baiser sur le front de son mari avant de quitter la pièce à grandes enjambées, le cœur brisé.

Dorénavant, c'est lui qui souhaite disparaître.


Love in SocietyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant