Mon appartement sonnait comme une continuité de la morosité du lycée : un trois pièces dans un immeuble sans ascenseur dont l'exposition nord se faisait particulièrement sentir en hiver. Maman s'entêtait à faire des économies d'électricité et nous n'avions pas le droit, ma sœur et moi, de régler les radiateurs de nos chambres à notre guise. Je pouvais de fait affirmer haut et fort que ma grosse couette qui m'accompagnait hors du lit m'avait sauvé plus d'une fois d'une hypothermie certaine. À ce propos, je pensais naïvement que me voir lutter de la sorte pour maintenir mon corps à une température raisonnable constituerait une prise de conscience chez Maman, mais cela n'eut autre résultat que de récolter le surnom de Louis XVI.
Lorsque j'eus passé le pas de la porte, cette dernière, déjà rentrée du travail et affalée sur son fauteuil, lança un « Ah, t'es là ! » avant de lâcher son Sudoku et de se lever instantanément, un sourire radieux aux lèvres. Alors qu'elle s'approchait, je balançai mon sac à dos et me déchaussai rapidement, espérant encore échapper à ses questions.
— Ils ont dit que tu étais bien habillé, tes copains ? s'enquit-elle tout en me suivant jusqu'à la cuisine où je m'empressai de me servir des céréales.
— Oui, mentis-je.
Elle eut un air satisfait.
— Et ton emploi du temps ?
— Ça va.
— Et ta classe ?
— Ça va. Il y a un nouveau, il a l'air symp...
— Super. En tout cas, Céleste aussi, ça a été.
— Ah, je suis content pour elle.
— Tu sais, la sixième, c'est un grand pas... ajouta-t-elle.
J'acquiesçai.
Elle m'observait manger les bras croisés, comme si elle attendait une réaction supplémentaire. Pour ma part, je n'avais qu'une envie, prendre une douche et retrouver mon lit afin de discuter avec Ivanie. Pour le premier jour de cours, les professeurs avaient été cléments et nous avaient épargnés des devoirs, mais cela ne saurait durer.
— Tu l'aideras, hein, pour ses devoirs !
— Oui, grommelai-je.
Je m'en voulais de ressentir cela, mais elle m'agaçait déjà, comme à chaque fois qu'elle s'adressait à moi.
Cela dit, aujourd'hui était le jour de la rentrée et je devais bien fournir un petit effort. Je restai ainsi dans la cuisine, les yeux rivés sur la boite de céréales, jusqu'à ce qu'elle ait épuisé son stock de questions. Et, dès lors qu'elle rejoignit son fauteuil, une pointe de culpabilité émergea au creux de mon estomac.
J'avais répondu si sèchement, pour qu'en plus, je ne sois pas libéré pour autant. Cinq minutes plus tard, tout juste avant que je ne m'apprête à rejoindre pour de bon mon lit, Céleste surgit à son tour dans la cuisine en agitant dans sa main son carnet de liaison. Envahie d'une excitation qu'elle semblait contenir, elle me cita une à une ses matières avec le nom des professeurs.
D'abord décontenancé face à sa joie, je me souvins qu'elle n'était qu'au premier jour des quatre ans de collège qui l'attendaient. Cet établissement, je l'avais moi aussi fréquenté et j'en gardais un souvenir taraudant. Ce qui était étrange, cependant, c'était que tout avait paru supportable, voire plaisant sur le moment. Il m'avait fallu le quitter pour réaliser à quel point cet endroit s'apparentait à un bagne et que personne, ni les élèves, les professeurs, les surveillants ou le CPE désiraient le rendre plus vivable.
— Madame Doumergue, là, la prof d'histoire, quand elle a lu mon nom, elle m'a demandé si j'étais bien ta sœur. Et quand j'ai dit oui, elle a répondu qu'elle espérait que je ne sois pas comme toi.
— Eh bien, tu lui diras que ce n'est pas terrible de cataloguer quelqu'un dès le premier jour, répondis-je en prenant soin de ne pas lui préciser que je l'avais un jour surnommée Doumerde après un pari avec Victor, ce qui m'avait valu une journée d'exclusion.
— Tu crois que je peux lui dire ça ?
— Ben, ouais, affirmai-je avant de partir dans ma chambre.
Le téléphone dans la main, j'envoyai un texto pour raconter ma journée à Papa. Mais, il me tardait surtout de rapporter à Ivanie la série d'évènements de ce tout premier jour de Première. Et, lorsque j'entendis sa voix à l'autre bout du fil, je sentis la tension qui habitait mon corps relâcher peu à peu.
— Hey, mais c'est mon chéri !
— En personne. Tu vas bien ? m'enquis-je.
— Oui et toi ?
— Oui ! Faut que je te raconte ma rentrée qui puait bien la merde.
— Ah, c'était aujourd'hui ?
Je me mis à rire tant elle était tête en l'air. J'avais dû lui répéter quatre fois que ma rentrée était ce jour. Mais Ivanie avait toujours été ainsi, et la distance n'allait pas améliorer les choses.
Cela faisait maintenant un peu plus d'un mois que ma petite amie m'avait annoncé, au cours d'une après-midi au bord de sa piscine, qu'elle irait passer son année de première à Dublin, en Irlande. Ce jour-là, nous venions de pénétrer, après une heure de baignade, dans une petite chambre sous pente que nous nous étions réappropriée pour en faire notre petit coin intime. L'image restait figée dans la tête : Ivanie, allongée sur un vieux matelas tâché et suranné, la peau encore luisante recouverte d'une fine enveloppe de poussière, me cherchait du regard. Je ne la connaissais que trop bien, après quelques mois à être avec elle, je savais que cela signifiait qu'elle avait quelque chose d'important à me révéler et qu'elle réfléchissait à la formulation.
« Oh, c'est génial ! » avais-je répondu.
Les mots avaient manqué de s'entrechoquer au fond de ma gorge tant je m'étais efforcé de paraître sincèrement heureux. Bien entendu, je l'étais pour elle, mais je n'avais pu m'empêcher de penser à ce qu'il adviendrait de notre relation. Puis, c'étaient toujours les mêmes qui avaient le droit de vivre des choses extraordinaires, et toujours les mêmes, condamnés à rester dans la bulle grise et bétonnée.
— J'ai hésité avec les États-Unis, avait-elle rajouté, mais j'ai préféré l'Irlande, comme ça, je rentrerai au moins un week-end par mois ou tous les deux mois.
— Hein ? Parce que tu pouvais choisir les États-Unis ? avais-je exhalé, abasourdi.
Assis sur le parquet qui me menaçait de ses échardes, il m'avait fallu un certain effort pour contenir mon ébranlement. Le soir même, je m'étais renseigné sur les différents programmes d'échanges, déterminé moi aussi à quitter cette bulle grise pour déménager en Floride, m'imaginant déjà rejoindre l'équipe de football d'un lycée. Toutefois, mon espoir s'était évaporé à l'instant où mes yeux s'étaient posés sur les tarifs.
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Ezra et Gabriel - TOME 1 (BxB)
JugendliteraturGabriel a tout pour être heureux : il est populaire, a un fidèle groupe d'amis, sans oublier sa petite amie Ivanie. Pourtant, ce bonheur manifeste, ce garçon de seize ans peine à l'atteindre : il déteste la ville où il habite et se rendre au lycée e...