Chapitre 43

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     Et ce garçon incroyable, je le rejoignis vingt minutes plus tard. Je lui confiai mon amitié inattendue avec Léa (bien qu'il soit peut-être trop tôt pour qualifier cette relation d'amitié, sans exclure que cela pouvait ne jamais arriver.) Ce fut sans surprise qu'il ne sembla pas étonné, perturbé ou jugeant. Aussi, tandis que c'était à son tour d'effectuer un curl barre droite, je cherchai au fond de ma mémoire un moment où il aurait pu dire une méchanceté à l'égard de quelqu'un, mais rien ne me vint. Ni durant l'entièreté de notre séance, ni durant la douche qui la succéda, ni lorsque nous nous installâmes sur une murette non loin de la salle de sport, refusant de rentrer chez nous de sitôt.

     Pendant que je l'observais pouffer, le nez sur des vidéos YouTube, tout en dégustant sa barre de céréales protéinée, je repensai à notre moment chez lui, et je luttai pour ne pas lui demander de m'inviter de nouveau ce week-end. D'une part, parce que je ne désirais pas être envahissant, d'autre part, parce que je devais retrouver Ivanie qui rentrait pour trois semaines (cette pensée m'effraya).

     Alors, à défaut, je revivais notre dernière soirée. Je la rejouais inlassablement avant de dormir. Chaque détail. Chaque bruit. Chacune de ses paroles. Ses parents. Natty. Monique. Le repas. Les bénédictions. Le pain. L'odeur. La glace.

     Tout avait été si merveilleux.

     Et, lorsqu'il leva son regard vers moi et qu'il me contempla avec intensité, je compris.

     Pourquoi maintenant ?

     Pourquoi ici ?

     Il n'y avait pourtant rien qui sortait de l'ordinaire. Était-ce justement cela, la raison ?

     Un moment simple.

     À son image.

     Peut-être avais-je commencé à le réaliser le jour où il m'avait cruellement manqué et que l'absence de messages avait sonné comme un vide intolérable... Ou, ce fameux soir où il avait dormi chez moi et que la simple vision de lui, penché sur mon bureau constituait un tableau fabuleux.

     Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, plutôt que de lui avoir révélé tout ce que je ressentais à son égard, ce fut à moi-même que je déclarai la vérité. Il n'y avait plus de confusion possible.

     Je l'aimais. 

     Oui, je l'aimais.

     Je n'avais de cesse de l'admirer, lui et ses qualités morales et précieuses ; lui et sa gentillesse, sa spontanéité et sa douceur. J'appréciais cette sensation de linéarité, comme si mes sentiments ne pouvaient que filer droit sans jamais décroître ; sans jamais faillir. Car, oui, ce que je ressentais pour lui ne pouvait que résister à l'épreuve du temps, à l'imperfection, la mienne comme la sienne – si tant était qu'il en serait doté.

— Eh beh quoi ? Tu veux un bout ? fit la voix d'Ezra.

     Le plus déroutant fut le temps qu'il me fallut pour prendre conscience que tout ce que je ressentais ces dernières semaines n'était autre que de l'amour. Cette temporalité sembla absurde, mon corps entier me le criait depuis tant de jours et de semaines. Pourquoi le voyage entre mon cœur et mon intellect avait-il été si long ?

     À coup sûr, était-ce parce que cette prise de conscience n'était pas envisageable pour moi, voire, incroyable. Pas dans le sens qui suscitait l'étonnement, dans le sens que je ne pouvais y croire, l'intégrer. Parce qu'il s'agissait là d'une tournure que je n'avais pu concevoir ne serait-ce qu'une seule fois dans ma vie.

     Ce qui m'ébranlait d'autant plus était l'absence de peur que je ressentais à l'égard de ce qui s'apparentait pourtant à un bouleversement identitaire. Ou, était-ce du déni ? Peut-être qu'un jour, de bon matin, je me lèverais en le réalisant pleinement, et j'éprouverais la sensation de tituber. De là, je hurlerais que tout cela ne devait pas se passer ainsi, que ce n'était en aucun cas dans mes plans ; que ces nouveaux sentiments, je n'en voulais pas.

Ezra et Gabriel - TOME 1 (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant