Chapitre 19

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     Bien que ce ne soit objectivement pas une très bonne idée du fait qu'elle adorait l'eau brûlante tandis que je l'aimais chaude, prendre une douche à deux était sans équivoque un gain de temps. C'était pour cette raison que nous nous entêtions à le faire, même au prix de nos plaintes respectives. L'eau était trop tiède à ses yeux ; quant à moi, j'avais la sensation désagréable d'être plongé dans une casserole d'eau bouillante. 

     Lorsque nous sortîmes, s'offrait à nous une journée d'automne fraiche et ensoleillée. Les arbres avaient pris une teinte safranée et des monticules de feuilles mortes en état de décomposition variable tapissaient le trottoir sur plusieurs centaines de mètres.

     Arrivés au parc, je ne pus m'empêcher de d'observer çà et là dans l'espoir d'apercevoir mes amis, et ce, même lorsque nous nous installâmes sur l'herbe humide.

     Ivanie s'assit et étendit les jambes. Il n'y avait pas besoin de mots. Cette position, je la connaissais. Elle se traduisait par : pose ta tête sur mes cuisses. Ainsi, je m'exécutai avant de sortir le papier à rouler et tout ce qui allait contribuer à nous faire passer un bon moment.

    Tandis que je confectionnais avec soin ce qui allait passer de ma bouche à la sienne, Ivanie me caressait les cheveux. C'était de ces moments absolument divins, et peut-être, à cet instant, je n'enviais plus vraiment mes amis.

— Les dames d'abord, dis-je en lui tendant le joint.

— Oh, la vieille galanterie.

    Elle l'attrapa et le porta à sa bouche avant de s'étaler, elle aussi, de tout son long sur l'herbe humide.

— Au fait, je reviens dans deux semaines pour l'anniversaire de Divya. Tu voudras venir ? me proposa-t-elle.

— Euh, oui, pourquoi pas.

— Cool. Je lui dirai.

     Une demi-heure plus tard, l'estomac creusé par notre séance de fumette, nous nous précipitâmes au Fastfood le plus proche.

    Il y avait du monde, comme toujours, l'attente fut longue, suffisamment longue pour laisser mon esprit divaguer comme bon lui semblait. Lorsque ce fut notre tour, le caissier me fixa d'un air concentré. Sa ressemblance avec Ezra me troubla, si bien que tandis qu'il était prêt à entendre ma commande, aucun mot ne sortit de ma bouche pendant un temps.

     Comme à son habitude, Ivanie n'attendait même pas d'avoir avalé pour faire rentrer trois frites supplémentaires dans sa bouche. J'appréciais sa manière de manger telle une ogresse affamée. Même durant nos premiers dates, elle n'avait exprimé aucune retenue ; peut-être était-ce là une façon de s'affranchir des règles de bienséances qui pesaient au sein de sa famille.

     La voyant ainsi, beaucoup trop adorable, je lui attrapai affectueusement la main et son sourire me tint lieu de réponse. Elle retira sa main pour dégager une mèche de cheveux qui s'était logée dans sa bouche et la reposa aussitôt sur la mienne.

     Finalement, tout allait bien. Il ne se passait rien de grave. Mes amis passaient à l'heure actuelle un bon moment, comme moi. Il n'y avait pas lieu d'être déçu de manquer une occasion avec eux.

     Durant notre repas, elle me relata sa dernière dispute avec ses parents, le soir de son retour. Elle venait de commander un kit de manucure, et lorsque son père l'avait questionnée sur l'utilité de la chose, lui rappelant qu'elle se rendait déjà chez l'esthéticienne pour faire ses ongles, elle leur avait déclaré que c'était pour s'entrainer, qu'elle songeait de plus en plus à faire prothésiste ongulaire. Lui et son épouse s'étaient alors étonnés. Aux dernières nouvelles, elle souhaitait être designer textile, et ils l'aidaient déjà à préparer son entrée aux ateliers ENSCI.

Ezra et Gabriel - TOME 1 (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant