Chapitre 7

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      En définitive, ce fut en acceptant qu'il ne serait finalement pas notre ami que les jours défilèrent avec lenteur, le train-train monotone continuant sa route sous le ciel nuageux et parfois pluvieux.

      La journée du mercredi, du jeudi, du vendredi, le week-end libérateur, et puis, le début d'une nouvelle semaine : lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, jusqu'au lundi suivant.

      Nos journées s'inscrivirent de la même façon que l'année précédente : se retrouver à la cafétéria avec l'ensemble du groupe, parfois d'autres élèves s'ajoutaient, et lorsque l'emploi du temps nous le permettait, nos sorties au jardin public ou au centre commercial.

      Ici, seuls quelques parcs nous offraient de la verdure. Sinon, il fallait s'éloigner de ce spectacle urbain cafardeux pour espérer rencontrer ce que la chair de la planète avait à nous offrir. Et je les avais tant explorées, la faune et la flore ; Maman avait toujours œuvré à nous faire aimer la nature. D'après ce que témoignaient nos albums de famille, lorsqu'elle avait encore le temps – ou l'énergie – nous partions régulièrement en montagne ou dans la forêt nous promener. Elle disait qu'on faisait le plein d'oxygène pur et qu'on gagnait des années de vie. À l'époque, cette histoire d'années supplémentaires était encore un argument valide à mes yeux.

      Avec le temps, j'avais porté un désintérêt pour ces excursions. Ce désir d'y mettre un terme était né lorsque Maman avait commencé à m'agacer au moindre mot qu'elle disait. Dès lors, vers treize ans, j'avais arrêté de les suivre. Je me rendais plutôt chez Papa afin de jouer à la Play. Sur le moment, cela m'émoustillait toujours d'aller chez lui. Il ne m'interdisait rien et commandait des pizzas. Mais, lorsque la nuit tombait, il m'arrivait d'avoir le cafard, comme submergé par une déprime soudaine et temporaire qui ne disparaissait qu'au petit matin. Comment ne pas ressentir autre chose, au fond, dans son appartement de père divorcé ? Ce deux pièces qui se définissait par un frigo quasiment vide, des placards composés uniquement de pâtes et de riz, une tasse de café abandonnée depuis trois jours dans l'évier et une pile de rouleaux de papier toilette rose dans les WC comme si une apocalypse nous menaçait.

***

     Ce jour-là, je scrutai la fenêtre, m'adonnant à mon petit voyage outre-atlantique lorsque la sonnerie me fit revenir en France.

— Pour demain, vous effectuerez les exercices quatre, cinq, six, sept et huit, page quatorze s'il vous plaît, nous somma M. Sancier.

— Euh, Monsieur, l'interpellai-je, c'est insancier de nous donner autant de devoirs pour le lendemain.

— Pardon ?

     Son intonation était ferme mais les rires de Victor et Léandro me donnèrent du courage.

— C'est insancier de nous donner autant de devoirs, M. Sancier, répétai-je. On a une vie à côté.

— Votre carnet, s'il vous plaît.

— Mais, Monsieur, c'est de l'humour...

— Votre carnet, Gabriel. Et que je ne me répète pas.

      Résigné, je m'exécutai, et mon regard croisa celui d'Ezra. À cet instant, j'eus honte. Quelque chose me disait que lui, il ne trouvait pas ce genre de plaisanteries drôles, et sans doute me considérait-il absolument pathétique. Pourtant, en revenant à ma place, je ne pus m'empêcher de poser de nouveau mon attention sur lui ; sur ses cheveux d'abord, puis sa figure. Sa figure, parce qu'il fallait le reconnaître : je n'en avais jamais vu comme celle-ci.

      Je ne devais pas être discret, puisqu'il s'en aperçut, à en constater ses yeux qui me suivirent jusqu'à ce que je m'asseye. À défaut de me sourire, ou du moins, d'arborer une expression complice, il me contempla d'un air placide, attestant une totale indifférence pour ma personne.

    Que désirais-je d'autre, de toute façon ?

      À la fin de la journée, Victor, encore amusé de mon jeu de mots, me proposa de passer chez lui. J'acceptai volontiers. D'une part, car cela retardait ma venue chez moi et ainsi les tirades de Maman concernant le mot de Sancier, et d'autre part, parce que c'était toujours un plaisir d'aller chez lui.

— Comment s'est passé votre deuxième semaine, les garçons ? s'enquit Lisa.

— Ça va, répondit Victor.

      Comme à l'accoutumée, le passage par la cuisine était une étape obligatoire. En dix minutes, nous raflâmes les gâteaux et la bouteille d'Oasis tropical non entamée se vida dans son entièreté. Après notre festin, nous jouâmes pendant une bonne heure à Fifa avant de juger qu'il était temps de fumer.

— Au fait, il faut que je te dise un truc, Gaby, me lança Victor en préparant méticuleusement le joint que nous partagerions dans quelques instants.

— Je t'ai déjà dit de ne pas m'appeler comme ça, grommelai-je.

     Je détestais ce surnom qui raisonnait comme une menace à ma virilité. Un Gaby ne pouvait faire peur à quiconque.

— Ah oui, c'est vrai. Du coup, faut que je te dise un truc.

      À en constater son sourire au coin de la lèvre, je devinai que l'information qui allait suivre était affriolante. Je restai immobile, en attendant la suite, tout en gardant un air désintéressé.

— Thalia, elle te kiffe, frérot.

— Ah bon ?

— Ouais.

— Comment tu sais ça ?

— Ça se voit.

— Ben, en quoi ?

— Elle vient toujours te parler à toi, elle t'a demandé si t'avais toujours le même num, et tout, et tout...

— Ben non, ça ne veut rien dire et elle me l'aurait dit. On est potes, quoi.

— Tant pis. Ne me crois pas.

      Cela me laissa dubitatif. J'étais certes avide de petites histoires croustillantes mais je n'aurais pas pensé en être l'intéressé, et pour être honnête, je préférais être spectateur.

— Et Charlie, il le sait ?

— Je pense qu'il s'en doute.

— Et pourquoi elle serait intéressée par moi ?

— Parce que t'es beau gosse, répondit-il en pouffant.

      Je fronçai les sourcils et lui pris le joint des mains, non sans que je réussisse à chasser cette récente information de ma tête.

      Sur le chemin du retour, deux heures plus tard, je fus pris d'une envie d'appeler Ivanie. J'avais pour habitude de lui raconter à peu près tout, mais je doutais de l'utilité de mentionner une telle rumeur. Déjà, parce que rien ne le prouvait, et aussi, parce que cela pouvait l'angoisser... Inutilement. Toutefois, rien ne m'empêchait de prendre de ses nouvelles, et ce fut pour cette raison que je m'assis à un arrêt de bus.

— Olala mon cœur fit sa voix à l'autre bout du fil, ça me fait plaisir que tu m'appelles mais là je suis en train de faire du shopping à Dublin. Je t'enverrai des photos !

— Ah, d'accord. Tu m'appelles ce soir ?

— Ouais, vas-y, je t'appelle ce soir ! À toute, bébé !

— À tout à l'heure mon cœur,  amuse-toi bien !

Ezra et Gabriel - TOME 1 (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant