Chapitre 26

706 59 67
                                    

     L'absence de Maman fut une aubaine pour jouer indéfiniment à la console. Je ne manquai pas de me précipiter dessus dès que je passai le seuil de la porte après ma journée de cours. Il m'était de toute façon impossible de me consacrer aux devoirs puisque ma concentration était momentanément indisponible ; et je n'eus même pas besoin de me justifier auprès de mes profs pour me sortir d'affaire. De fait, lorsqu'Ezra remarqua dès le mardi matin que je n'avais pas effectué les exercices à faire, il décida de m'envoyer chaque soir ses devoirs, aussitôt ceux-ci effectués.

     J'aimais non seulement ce geste criant de bonté et d'amitié, mais ce que j'appréciais par-dessus-tout, était sa décence de ne pas s'être livré à un de ces discours de condoléances et de compassion qui n'avaient d'effet que lorsque la perte concernait les autres. En revanche, et sans que je ne le veuille, ce fut mon cerveau, tout seul, avant de dormir, qui s'adonna à des justifications sans fin, extrêmement agaçantes, supposant que je culpabilisais de ne pas m'être rendu auprès d'elle à temps. Or, ce n'était pas le cas. Je ne l'aurais, de toute façon, pas reconnue et elle non plus. Cela n'aurait eu d'autre utilité que de me bouleverser de la voir ainsi dans un tel état. Vraisemblablement amaigrie, les joues creuses, des cernes noires en forme de demi-lune sous les yeux, les membres violacés par manque de circulation sanguine, la bouche ouverte et édentée. Toute cette vision choquante pour la même finalité : elle serait décédée de manière identique, dans son sommeil, aux alentours de quatre heures du matin selon le médecin venu constater son décès le lendemain matin.

     À son retour, Maman me tendit une petite chaine en or sur laquelle étaient glissés deux pendentifs. L'un représentait Jésus crucifié sur sa croix, l'autre, était un petit médaillon représentant la Vierge Marie. Sur le dos était gravé le prénom de Mamie. Carlotta. Sans hésitation, je le mis, et me jurai de ne jamais m'en séparer.

     Jamais, ni même lorsque je partis à la salle de sport, sans Ezra cette fois, le samedi matin. J'eus la sensation que cette séance-là se voulait légèrement différente. La transpiration qui s'écoulait sur mon dos et sur mes tempes n'avait pas pour simple fonction de refroidir mon corps en surchauffe : elle avait également le rôle de me libérer de toute l'eau salée qui aurait dû jaillir par un autre endroit, si seulement je m'y autorisais. 

***

     La semaine supplémentaire qui s'écoula se passa étonnement bien. Je repris graduellement possession de ma concentration et Ezra n'eut bientôt plus à m'envoyer ses exercices. Ces soudaines retrouvailles avec mes neurones fonctionnels tombèrent à pic, par ailleurs. Parce que, si Ezra pouvait me fournir les devoirs aussitôt faits, il ne pouvait cependant pas se substituer à ma personne lorsqu'il s'agissait des contrôles sur table. Or, ce jour-là, le QCM surprise de Sancier survint de manière aussi inattendue qu'une blague de bon goût de la part de Léandro. Et pour cause, cela faisait plusieurs semaines qu'il ne nous avait pas infligé cet acte cruel. J'avais naïvement pensé qu'il l'avait abandonné, soit parce qu'il était désespéré des notes catastrophiques qui en résultaient, soit parce qu'il avait été pris d'un inespéré élan de compassion. La première option m'avait semblée davantage plausible, mais en fait, ce n'était ni l'une ni l'autre.

      Je décidai néanmoins de m'en moquer. Et, cet après-midi, la voix criarde de la professeure n'atteignit d'aucune façon mon humeur enjouée, et le contrôle de chimie ne fut pas aussi épouvantable que je l'avais prévu.

— Ça te dit qu'on aille manger quelque part ? me proposa Ezra à la sortie des cours.

     Il me fallut quelques secondes pour analyser ce que je venais d'entendre. Non, je n'avais pas rêvé. Oui, Ezra m'avait proposé de lui-même que nous allions manger quelque part.

Ezra et Gabriel - TOME 1 (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant