— C'est où ? nous questionna Ezra alors que nous marchions tous les trois en direction du lieu de prédilection.
— T'inquiète, frérot, le rassura Victor, on te fait découvrir les coins cools.
C'était un parc que nous affectionnions particulièrement, mais dont la distance nous empêchait bien souvent de nous y rendre depuis le lycée. Il nous garantissait un cadre de verdure agréable et les promeneurs étaient silencieux. Mais là où nous allions toujours, c'était une sorte de préau en bois qui se dressait en hauteur, accessible par un petit chemin dessiné artificiellement par des galets. Il nous garantissait un abri des regards et de la pluie, en plus de la végétation suffisamment dense pour nous faire oublier l'aire urbaine dans laquelle nous étions plongés.
À peine assis sur les bancs en fer qui nous congelèrent les fesses, Victor roula machinalement un joint et moi, j'allumai une cigarette. Ezra, lui, était installé sur le banc d'en face et nous regardait sans expression, les mains réfugiées dans les poches de sa doudoune bien chaude. La rougeur de ces dernières dès lors que le thermomètre indiquait une température inférieure à dix degrés donnait un élément de réponse à ce besoin constant de les couvrir. Ses phalanges étaient parfois si sèches qu'elles pelaient, laissant des croûtes rougeâtres, ce qui avait amené un jour Prudence à lui conseiller en plein cours de maths de mettre du beurre de karité. Cette scène avait par ailleurs grandement amusé M. Sancier qui avait pris soin de rappeler que nous n'étions pas en classe d'esthétique.
— Tu veux ? me proposa Victor.
Je répondis par la négative.
— Tu veux ? demanda-t-il ensuite à Ezra, avec la même intonation dans la voix.
Il secoua la tête, souriant.
Après ce bref échange, Victor sembla s'abandonner à la vie, basculant sa tête en arrière tout en fermant les yeux, un bras replié sur son ventre et l'autre étendu dans le vide, le joint entre les doigts. Il emportait avec lui mon dernier espoir que le silence puisse se briser de nouveau. Ce ne serait certainement pas Ezra, immobile et silencieux depuis notre arrivée qui allait contribuer à y mettre fin, ni moi-même. Parce que, pour être honnête, j'ignorais que dire. Ou, plutôt, je me languissais de son silence, qu'importe ce qu'il signifiait. Un ennui ?
Dirais-je plutôt de la plénitude, à en deviner son regard n'exprimant rien d'autre qu'une profonde satisfaction...
Satisfait de quoi ? D'être là ?
— Bon, bon, bon.
Dans un quasi-sursaut, la voix de Victor me fit reprendre mes esprits, et je m'aperçus par la même occasion qu'Ezra me contemplait, ses yeux droits dans les miens.
Merde.
Je me redressai, frottant mes mains contre mes cuisses.
Merde.
Que fallait-il que je fasse afin de paraitre naturel et serein ? Parce que, bien sûr, il ne pouvait qu'avoir compris que je l'observais. Ce n'était pas comme si je m'en étais d'emblée rendu compte et que j'avais pu détourner l'attention à temps.
Rien. Tant pis. Nous nous étions regardés, et puis, c'était tout.
Je m'affaissai de nouveau sur le banc, les jambes étendues, et aspirai sur ma cigarette. Il s'agissait d'adopter une posture attestant une profonde indifférence, comme si rien, absolument rien ne m'avait perturbé.
J'étais plutôt crédible, au point de m'avoir presque convaincu.
Je m'esclaffai à cette pensée.
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Ezra et Gabriel - TOME 1 (BxB)
Novela JuvenilGabriel a tout pour être heureux : il est populaire, a un fidèle groupe d'amis, sans oublier sa petite amie Ivanie. Pourtant, ce bonheur manifeste, ce garçon de seize ans peine à l'atteindre : il déteste la ville où il habite et se rendre au lycée e...