Chapitre 4

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        L'ensemble du groupe – excepté Olympe et Tasnîm – éclata de rire.

        La jeune fille en question fit volte-face en notre direction, son regard mêlant l'interrogation et la stupeur. Ainsi, elle nous observa quelques secondes, un à un, comprenant à l'évidence qu'elle était bel et bien l'objet de la raillerie, puis quitta la cafétéria.

       Ce qui avait valu cette remarque était vraisemblablement ses habits entièrement noirs ; une mini-jupe ajustée d'une chaine à la taille, des bas résille qui laissaient apercevoir ses jambes blanches, sans oublier le collier à clou qui ornait son cou.

— T'es un gros gamin, protesta Tasnîm.

— De fou, ajouta Olympe.

       Léandro ricana.

— Allez, c'est bon, vous deux.

— Non, rétorqua Tasnîm, c'est pas bon. J'ai pas pris de bonnes résolutions à la rentrée pour que je traine avec des bouffons qui se croient encore au collège pour vanner des gens qui n'ont rien demandé.

— Bon écoute, tes bonnes résolutions, c'est ton problème, Mère Thérèsa. Et quand on s'habille comme une satanique, on assume d'avoir des réflexions.

— Ben non, elle s'habille comme ça parce qu'elle aime et elle a bien raison de s'habiller comme elle veut.

       Après un dernier rire, Léandro l'ignora et tira une cigarette de son paquet avant de la mettre à la bouche.

— Qui vient fumer ?

— Non mais Léandro ! fit la voix courroucée de Tasnîm, je te parle, je te fais savoir !

        L'intéressé exhala un rire du fond de la gorge et s'extirpa de la table pour quitter la pièce, Victor lui emboitant le pas. Réalisant qu'elle ne réussirait pas à lui tirer des excuses, elle se tourna vers Abel et moi.

— Et vous, vous dites rien.

— C'est Léandro quoi... marmonna Abel.

— Non, mais non, c'est trop facile de dire que c'est Léandro et de laisser couler. Perso, j'ai pas envie d'être associé à ce genre de mentalité dès la rentrée. Faut grandir, au bout d'un moment.

        Ce fut à cet instant précis, désireux de savoir quelle expression il avait, que je réalisai qu'Ezra avait disparu. Quand ? Avant, après l'incident ? Je le cherchai des yeux à travers les autres élèves, puis regardai de nouveau Abel.

— Bon, c'est bon, répondit-il. Si on la recroise, on s'excusera pour lui, ça te va ?

        Et c'est ce que nous fîmes, lorsque nous la croisâmes dans le couloir bondé au cours suivant. Tasnîm, tout juste avant d'être bousculée par le mouvement de foule, lui attrapa la manche et lui expliqua à quel point nous étions désolés de la remarque qu'elle s'était prise. À cet instant précis, pour une raison inconnue, son prénom me vint.

       Cette fille se prénommait Léa. L'avais-je entendu l'an dernier ? Possible.

        Durant les trois cours qui suivirent, chaque professeur prenait le temps de déballer son autobiographie comme si cela était nécessaire au bon déroulement de l'année et qu'éventuellement, nous pouvions en avoir quelque chose à faire. Les plus sadiques d'entre eux allèrent jusqu'à nous demander de nous présenter, ce qui avait don de m'insupporter ou d'en terroriser d'autres, comme Thelma qui devint écarlate au moment de prendre la parole. Léandro – visiblement insensible au discours de Tasnîm – ne manqua pas de la qualifier de harissa sans prendre la peine d'être discret, ce qui, d'une part, n'arrangea pas la détresse de notre pauvre camarade et d'autre part, lui valut un premier mot dans le carnet. 

— Tu veux passer chez moi ? me proposa Victor lorsque la sonnerie marqua la fin du dernier cours, et la délivrance par la même occasion.

       Je répondis à l'affirmative et ce fut ainsi que se termina notre toute première journée de première. 

     Moins d'une demi-heure plus tard, sa mère, Lisa, nous salua avec un grand sourire aux lèvres. Comme à l'accoutumée, son accueil contrastait particulièrement avec celui de son époux, le beau-père de Victor, Stéphane, qui, avachi sur le canapé, n'esquissa même pas un regard en notre direction.

       La raison pour laquelle ces deux personnes avaient décidé de se marier, et de surcroît, éduquer des enfants ensemble, restait à mes yeux un mystère absolu tant il semblait y avoir tout un monde entre eux deux.
       La mère de Victor ne nous imposait jamais d'interdits (ce qui était appréciable), tandis que son beau-père hurlait pour un simple verre renversé. Il n'était pas bavard, pour ne pas dire qu'il ne parlait pas du tout, excepté lorsqu'il s'agissait de réprimander Victor. 

       C'était en outre pour cela qu'il m'avait profondément effrayé la première fois que je l'avais rencontré, et très rapidement, ma crainte à son égard s'était révélée fondée. Durant l'été précédant la rentrée de cinquième, où nous nous amusions à sauter dans la piscine hors sol depuis plusieurs heures déjà, Vick avait eu la malchance d'être piqué par une guêpe sur la paupière. Je n'avais jamais expérimenté une piqûre de cet insecte (pas même encore aujourd'hui) mais à en deviner son cri et ses pleurs, c'était une expérience très douloureuse. Sa mère absente, il s'était précipité vers son beau-père, les sanglots emplis de douleur. 

       Ce dernier lui avait alors infligé une claque tout en hurlant qu'il n'était pas une gonzesse pour chialer à cause d'une piqure d'insecte. Victor avait été si choqué qu'il avait immédiatement ravalé ses larmes, et ce fut d'ailleurs la dernière fois que je le vis pleurer, ce qui me compliqua lourdement l'existence par la suite. À l'époque encore, il m'arrivait parfois de lâcher prise en sa présence, notamment depuis le divorce de mes parents, et le fait que cela lui arrivait aussi, parfois pour des raisons que je ne comprenais pas, constituait un soulagement ; une garantie solide qu'il ne se moquerait jamais de moi et qu'il ne le répéterait pas. 

        Par conséquent, lorsque j'avais réalisé qu'il ne pleurait plus, pas même pour des choses auxquelles je me demandais comment il faisait pour ne pas craquer – surtout la fois où son beau-père lui avait cassé la télé à coups de marteau après que nous l'avions réveillé en jouant à la Play à trois heures du matin – j'avais décidé à mon tour de cesser. D'abord, seulement pour les choses que je jugeais futiles. Mais, à force de peiner à tracer la délimitation de ce qui révélait du « futile » et du « légitime », j'avais un jour décidé d'arrêter tout court.

— Du coup, t'en as pensé quoi de cette première journée ? me demanda-t-il en nous servant de l'Oasis tropical.

— Nulle à chier.

— Une journée de rentrée, quoi.

— Voilà, m'esclaffai-je.

— Pour oublier un peu, ça te dit une partie de Play ?

       J'acquiesçai, et après avoir joué une petite heure à la Play, je supposai qu'il était bon que je rentre, avant que Maman ne commence à s'impatienter.

Ezra et Gabriel - TOME 1 (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant