J'attendis de parvenir à l'arrêt de bus pour l'appeler. Parce qu'il en était ainsi depuis la rentrée, il pleuvait. De la pluie fine et glacée, qui se ressentait plus qu'elle ne se percevait, par sa tendance à paralyser les doigts.
Lorsque j'entendis sa voix, j'éprouvai un soulagement d'abord. Un soulagement qui ne dura pas bien longtemps, toutefois, puisqu'il me répondit qu'il était à l'usine et qu'il ne pouvait me recevoir ce soir.
— Peut-être demain, Gab.
Au fond, je n'en doutais pas, il me suffisait de rebrousser chemin et d'expliquer l'indisponibilité de mon père pour regagner ma couette chaude. Mais, je refusais. Je ne souhaitais pas qua ma mère m'accepte par simple devoir moral.
Puis, surtout, je désirais qu'elle regrette sa décision. Pour cela, qu'y avait-il de plus simple ? Il me suffisait de partir. Couper mon téléphone. Disparaitre. Quelques jours. Peut-être trois ou quatre. Le temps qu'elle se ronge les doigts jusqu'à l'os. Le temps qu'elle aille pleurer au commissariat. Et, lorsque je reviendrai, elle s'excuserait, reconnaissant être fautive. Totalement fautive. Parce qu'elle l'était. Elle venait de pulvériser mes efforts. Pulvériser un grand pas en avant. Pour la simple et bonne raison qu'elle n'avait pas été capable de considérer ma temporalité. Un caprice. Cela avait été nul autre qu'un caprice.
Oui, j'étais déterminé, pour de vrai, cette fois. Il n'y avait là rien de bien compliqué, et le contexte ne pouvait être plus favorable. J'avais des affaires dans mon sac, un chargeur, mon argent. De cette façon, il me suffisait de prendre le RER jusqu'à Paris, et puis, une fois là-bas, me rendre au quai de Bercy et prendre un bus. Le premier qui se présenterait à moi, et je me laisserais conduire vers ma liberté.
Dès lors, après avoir fermé l'onglet des horaires des Flixbus, je décidai d'appeler Ezra afin de le prévenir. Il ne méritait pas de s'inquiéter, il méritait de savoir où je me trouvais.
Je n'étais pas certain de lui dire toute la vérité, parce que le connaissant, il serait capable de donner raison à ma mère. À coup sûr, il me dirait que ce n'était rien d'autre que la peur qui s'était manifestée, qu'elle craignait que je n'honore pas mon rendez-vous, ma promesse. Elle, submergée par tant d'espoir d'un seul coup, à un moment pourtant anodin où rien ne présageait une annonce pareille !
— Ouais, Gaby-Gaby?
— Ça va ?
— Oui et toi ? Qu'est-ce que tu veux ? Les exos de maths ? De chimie ?
Je m'esclaffai.
— Non... Je veux juste te prévenir que je compte partir, là, ce soir.
— Partir où ?
— Ben, tu sais, mon projet.
Il eut un silence un très court instant.
— Arrête de m'emboucaner. Ton Espagne, là ?
— Oui.
— Ce soir ?
— Oui.
— Maintenant, là ?
— Oui.
— Putain, Gabriel...
— Ma mère m'a jeté dehors. Enfin, elle m'a dit d'aller chez mon père mais il travaille. Je n'ai pas envie d'y retourner. J'ai un sac rempli de vêtements avec moi, je pense que c'est le moment.
Bien évidemment, il fallait s'y attendre, il désapprouva.
« Non, ce n'est pas le moment » me rétorqua-t-il avec véhémence. Je décelai même de l'affolement dans sa voix, et pour la première fois, il m'ordonna de venir chez lui et de l'attendre en bas de son immeuble.
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Ezra et Gabriel - TOME 1 (BxB)
Novela JuvenilGabriel a tout pour être heureux : il est populaire, a un fidèle groupe d'amis, sans oublier sa petite amie Ivanie. Pourtant, ce bonheur manifeste, ce garçon de seize ans peine à l'atteindre : il déteste la ville où il habite et se rendre au lycée e...