Chapitre 58

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    S'agissait-il des conséquences positives de son invitation inattendue ? Pour la toute première fois, j'eus envie d'agir. Agir, afin de guérir de mes insomnies incessantes, de mes ruminations du soir et de mes crises de colère.

     Pour en arriver là, fallait-il que j'en prenne conscience. Fallait-il qu'une personne nomme ce que je vivais, plutôt que de désigner, n'en demeurant pas moins que supposés, des coupables idéals (et guère originaux) : le téléphone, la Play, le cannabis.

     Des coupables qui... n'étaient que des symptômes.

     Mais, en avoir conscience aurait exigé à Maman d'entreprendre une action plus complexe que de simples réprimandes, et sans doute était-ce trop demandé.

     Ainsi, avec ou sans son aide, je souhaitais aller mieux, pour de vrai, et il s'agissait là d'un objectif raisonnable, réaliste. Ce n'était pas le bonheur que j'espérais atteindre, mais simplement de l'apaisement et tout ce qui en découlerait. Comme... Cesser de vouloir partir à tout prix.

     Jusqu'à maintenant, malgré mes efforts, ce désir ne m'avait jamais quitté. Je n'avais eu de cesse de me projeter au-delà des frontières de l'hexagone. Bien évidemment, dans ma villa non loin d'Orlando, mais aussi dans un appartement à La Spezia avec vue sur la mer, afin de varier un peu. Le lieu différait, mais, ma compagnie, jamais. Ezra était là. Toujours. Et, lorsque mes ruminations évinçaient mes charmants scénarios et que mes préoccupations chassaient tous résidus de sommeil, je finissais par me lever un petit temps afin de lire la princesse de Clèves, prêté par Ezra. J'espérais que ce livre ait des vertus narcotiques comme il l'avait supposé. Cependant, force était de constater que la passion amoureuse de Madame de Chartres n'était pas si ennuyeuse que cela, et j'en étais certain, si ma concentration me le permettait, je réussirais à lire plus de dix pages d'affilées.

    Mais, voilà que tout cela ne pouvait perdurer, et ce fut lorsque je revenais d'un mercredi après-midi chez Victor en compagnie de tous les autres (dont Ezra !), que je pris ma décision.

     J'aurais pu tergiverser encore de longues semaines, peser le pour, peser le contre, me répéter combien, si les autres l'apprenaient, je ressentirais une profonde honte, mais il n'en fut rien. Je me surprenais moi-même de ne pas attendre, pas même quelques jours, entre ma décision et mon passage à l'action. Ezra était indirectement une des raisons. Il n'approuvait pas mon voyage et cela avait pour conséquence de précipiter cette solution en toute fin de liste.

     Lorsque je l'aperçus dans sa chambre, perchée sur un tabouret, dépoussiérant le plafond, je lâchai en un souffle la fameuse formule généralement annonciatrice de mauvaise nouvelle :

     « Maman, j'aimerais te parler d'un truc. »

     Et, bien qu'il ne fût pas question de lui communiquer un éventuel renvoi temporaire, la prononcer m'exigeait un effort surdimensionné, aussi imposait-elle de briser une barrière établie depuis des années.

— Je t'écoute.

     Je fus étonné que son visage ne se soit pas encore décomposé, et le fait qu'elle continue sa tâche rendait la chose moins solennelle, ce qui me convenait tout à fait.

— Tu sais que depuis l'an dernier, ben, genre, j'ai du mal à m'endormir...

— Oui... ?

— Et aussi, des fois, je me mets en colère un peu pour rien, et tout...

— Ah, ça, à qui le dis-tu !

— Je me dis que ça serait peut-être bien que j'aille voir quelqu'un pour m'aider, tu vois ? Un... Un... ps... psycho...logue.

Ezra et Gabriel - TOME 1 (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant