Chapitre 50

717 63 94
                                    

— Moi ? Rien. J'imagine rien. À toi de me dire, répondit-il.

— Rien non plus, du coup.

— Comme tu veux.

     Valait-il la peine que je rétorque quoi que ce soit ? À quoi bon, il avait décidé de jouer l'autruche, et moi aussi. Bien sûr que j'avais imaginé diverses hypothèses, dont l'une d'elles qui se résumait à : l'avait-il deviné ? Auquel cas, ma première pensée fut qu'il en serait dégoûté, apeuré.

     Mais, mais, et si, et si, et si une autre possibilité était envisageable ? Comme le fait qu'il l'ait deviné sans en être répugné. Comment parvenir à obtenir une réponse, un indice, sans risquer de se tromper ? Aussi fallait-il que je me méfie de mes propres interprétations, loin d'être inscrites dans l'absolue réalité.

     Contente-toi de sa présence, me résonnai-je, il n'a rien d'autre à t'offrir.

     Non, j'en ai assez.

— En fait, si, je pense à un truc, avouai-je, tout en faisant abstraction du mieux que possible mon cœur qui se mit à cogner d'emblée contre mes côtes.

     Il me fallait garder un visage impassible, une posture droite, le regard dans le sien. Ne pas paraître fuyant ou craintif, de sorte que si je me trompais, la banalité que je sortirais ne contrasterait pas avec l'image que je lui renvoyais.

— Ah oui ?

— Oui. Tu devines à quoi je pense ?

     Il me dévisageait avec une telle intensité qu'il m'était difficile de ne pas être tenté de me détacher de son regard, mais je tins bon.

— Absolument pas.

     À ces mots, précisément, ses yeux s'échappèrent pour se loger à peine plus haut (sur mon front ou sur mes cheveux, je n'en étais pas certain). Ce fut tout à fait discret, imperceptible pour un œil non avisé, mais, depuis, j'avais appris à l'observer, analyser chacune de ses mimiques, et je pouvais l'affirmer : il n'avait jamais perdu ses moyens.

     Jusqu'à maintenant.

— D'accord, répondis-je. Alors, tu nous l'as fait, la tchatchouka* ?

     Il se leva d'un coup, dans un crissement de chaise.

— Ah, mais oui ! C'est pour ça qu'on est allé faire les courses, en plus.

     Pendant qu'il s'activait à la préparation du plat, son habileté me laissa pantois. Pour hacher les oignons, il ne prit même pas la peine d'attraper une planche à découper, il le fit directement dans sa main. Il fit preuve d'une agilité équivalente pour ce qui fut du reste, peler les tomates, les épépiner et les couper ; de même pour les poivrons, hacher les gousses d'ail et ciseler le persil.

     Lorsque je le complimentai, il me rétorqua d'un ton placide qu'il s'agissait d'une recette des plus faciles à faire, une poêlée d'Afrique du Nord. Apprenant cela, je me gardai bien de lui dire que je ne savais cuisiner que des pâtes et du riz. Et encore, quand je ne les laissais pas cuire trop longtemps ou brûler au fond de la casserole. En revanche, je lui confiai avec amusement, que, s'il fallait que je me nourrisse seul, je me contentais de faire chauffer au micro-ondes des hamburgers surgelés. Son expression fut encore plus teintée d'effroi lorsque je lui expliquai à quel point la sauce brûlante m'avait irradié la langue plus d'une fois, contrastant ainsi avec le steak, qui lui, demeurait congelé.

     Une heure plus tard, lorsque les aliments furent caramélisés, il entreprit de rajouter les œufs, et m'en tendit un.

     L'œuf à la main, je restai planté, immobile, le regard plein de détresse.

Ezra et Gabriel - TOME 1 (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant