Chapitre 31

613 56 50
                                    

     J'ignorais combien de temps il me fallut patienter dans cette petite salle conjointe au bureau du proviseur, du CPE et du secrétariat, mais je savais que l'espèce de fougère présente dans le coin en guise de décoration était composée d'au moins cent cinquante-sept feuilles. J'avais cessé de compter en arrivant à peu près à la moitié, renonçant par la même occasion à la récompense que j'aurais voulu obtenir si j'étais parvenu à les dénombrer jusqu'au bout, à savoir l'autorisation du CPE à garder les bijoux. Pour cause, un léger mal de tête m'obligeant à frotter mes yeux.

     Une silhouette, que je discernai à travers mes doigts, entra dans la pièce, toqua au secrétariat et disparu derrière la porte. Elle ne resta pas longtemps et lorsqu'elle ressortit, ses pas semblèrent s'être arrêtés en face de moi. 

—  Gabriel ?

     Sans lever d'emblée la tête, j'ouvris les yeux et vit d'abord des bottes à semelles plateformes recouvertes d'un jean à pattes d'éléphant bleu marine. Il m'apparut ensuite une longue veste noire, et enfin, un visage pour le moins devenu familier.

     Léa.

     La vue floutée par la pression de mes mains, il me fallut cligner des yeux un instant pour retrouver la netteté et discerner sans difficulté son visage. Pris d'un étrange réflex, je me redressai et lui esquissai un sourire qui m'avait tout l'air d'être maladroit.

— Je croyais que tu pleurais.

— Ah, mais nan, t'es ouf, rétorquai-je avec véhémence, profondément gêné qu'elle ait pu penser une telle chose.

— OK. Et si c'est le proviseur et le CPE que tu cherches, ils sont pas là, ils sont en formation.

— Ah, c'est pour ça que personne m'a répondu quand j'ai toqué ?

     Là-dessus, je me levai de la chaise dans l'optique de sortir et de me rendre devant le lycée afin de fumer une cigarette. Il n'était pas question de retourner en classe pour subir de nouveau les injonctions de Mme Silvestre. Et, alors que Léa m'emboitait le pas, je ne pus m'empêcher de poser de nouveau mon regard sur elle. Elle leva légèrement le sourcil droit.

— Qu'est-ce que tu as, à me regarder ? demanda-t-elle, l'expression teintée de méfiance.

— Ben rien. Tu es dans mon champ de vision, c'est tout.

— OK. Je me disais que peut-être, je te disais quelque chose.

— Ben, on est dans le même lycée, quoi. Et, le jour de la rentrée tu...

— Pas que. On est allé dans la même école primaire, aussi.

— Ah bon ! m'exclamai-je sous le coup de la surprise. Tu étais à Aimé Césaire ?

— Oui.

      Jusqu'à présent, je ne connaissais personne d'autre qui avait été là-bas. J'habitais dans la parfaite limite entre deux écoles de secteur.

— Tu ne me dis absolument rien.

— Pourtant, on jouait ensemble, parfois.

— Jure ? Tu me fais marcher !

— Non, c'est vrai, on était amis. Je t'avoue que je ne t'ai pas reconnu non plus. Durant toute l'année dernière, je te voyais te pavaner avec ta bande de ploucs méprisants, tu me disais un truc vite fait mais sans plus. C'est quand je suis tombé sur ta carte de cantine que ton nom m'a fait tilte.

— Ah...

     Ne sachant que dire, et supposant que nous nous sommes suffisamment attardés, je lui fis signe de sortir avant moi.

Ezra et Gabriel - TOME 1 (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant