Chapitre 3

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         Ezra. Lumbroso.

         Il se nommait ainsi, et j'appréciais vraiment beaucoup ses cheveux, en plus d'être captivé par les traits de son visage. De fait, il détonnait, son visage. Il détonnait parce qu'il semblait bien trop charismatique pour avoir sa place ici, dans cet endroit laid et nuisible. Et je ne fus visiblement pas le seul à éprouver cette soudaine envie d'être son ami puisque Victor l'interpella à l'issue de ces deux heures de supplice.

         — Viens, lui lança-t-il.

         Ezra hésita un moment, manifestement surpris d'être si rapidement convié à rejoindre un groupe d'amis déjà formé. Il se pointa lui-même du doigt avec un air interrogateur, comme pour s'assurer que cette interpellation lui était bel et bien adressée.

        — Oui, toi, viens avec nous.

        Il s'approcha sans dire un mot, peut-être gêné. Heureusement, Victor, de sa nature chaleureuse et enjouée, le mit vite en confiance. Du moins, il tenta.

         — T'étais pas dans ce lycée, l'an dernier, si ? demanda Victor, dès lors qu'Ezra arriva à notre hauteur.

         — Non. J'ai déménagé cette année.

         — Ah ! Tu viens d'où ?

         —  Aix-en-Provence.

         — T'es pour l'OM, ça veut dire ? demanda Léandro.

         — Bon courage, lâchai-je au même instant.

        Il pivota vers moi tout en fronçant les sourcils mais ne répondit rien.
        Avais-je dit quelque chose de mal ? N'était-ce pas une formule adaptée lorsque quelqu'un quittait une des seules régions potables du pays pour atterrir en Ile-de-France ?

        — Bref... siffla Victor, rompant le blanc qui venait de s'installer par la même occasion, tu peux rester avec nous, s'tu veux !

         Arrivés à la cafétéria, nous nous assîmes à nos places habituelles, les chaises proches de la porte du fond et du comptoir. Il s'agissait d'un espace suffisamment dégagé pour qu'Olympe soit à l'aise avec son fauteuil. Charlie, accompagné de plusieurs amis à lui dont Adama, nous rejoignirent, ce qui forma un sacré attroupement particulièrement houleux et agité. Notre esprit devait être encore bien loin de là où nous étions actuellement car nous nous racontâmes nos vacances d'été.

        Beaucoup étaient partis à l'étranger et bien qu'il y eût dans le lot quelques autres malheureux restés en France, cela ne m'empêcha pas de complexer et de sortir mes meilleurs talents en mensonge : j'improvisai aisément la description de mes deux semaines de vacances à Majorque, une description étonnamment précise pour un évènement qui n'avait pas eu véritablement lieu. Pour ce faire, je prenais source dans les photos établies dans l'album de famille, seuls débris restants de l'époque où Papa et Maman s'efforçaient encore d'être une famille normale.

         Et, alors que Victor nous racontait ses vacances à Stuttgart, je levai la tête pour observer les personnes autour de nous. C'était amusant de voir à quel point chaque rentrée était un remake de la Fashion Week. La majorité des gens, moi compris, sortait leur meilleur potentiel vestimentaire, espérant recevoir l'admiration et la reconnaissance ; seuls quelques-uns résistaient aux conventions sociales, au risque de rester dans les coulisses d'une acceptation.

         Je fus néanmoins bien vite arraché à ma contemplation lorsque Thalia vint me faire la bise avec ses deux meilleures copines, Khady et Chloé.

       — Salut Gabriel, me lança-t-elle en m'adressant un sourire chaleureux aux lèvres, tu as passé de bonnes vacances à ce que je vois !

       — Ah bon ?

       — Ouais, t'as grave bronzé et tout.

        Pour ainsi dire, j'ignorais comment j'avais pu bronzer sachant que j'avais passé l'intégralité de mes vacances devant ma Play. Aussi décidai-je de paraitre naturel.

       — Ah ouais ? Normal, l'Espagne, et tout... T'as capté. T'es allée où, toi ?

       — Voir ma famille au Cambodge.

       — Waouh, la chance. C'est beau, là-bas ?

       À cet instant, je vis Charlie nous lancer des regards à la dérobée. Il n'était d'ailleurs pas le seul à la regarder, ou peut-être regardaient-ils tous Khady et Chloé qui n'avaient franchement rien à envier à la beauté de leur amie dont le visage formait un ovale harmonieux, sans parler de sa longue chevelure brune lui arrivant en bas du dos.

      — Grave beau, je déprime quand je reviens ici. 

      — Tu m'étonnes. 

      — Et vous ? demandai-je à Khady et Chloé, ça a été vos vacances ?

        Tandis que Khady s'initiait dans un récit de ses vacances à la mer, j'observai Ezra qui était resté silencieux tout ce temps, légèrement à l'écart. Malgré mon fort désir de l'inclure en lui posant quelques questions (aussi parce que j'avais très envie de le connaître), je jugeai qu'il valait mieux de ne pas trop le brusquer.
       Et de ne pas provoquer un nouveau blanc teinté de malaise.

     — Elle est encore plus fraiche que l'an dernier, Thalia, me lança Léandro aussitôt celle-ci éclipsée vers un autre groupe de garçons. À votre avis, y a moyen, elle et moi ?

     — Laisse tomber d'avance, Charlie l'a dans le viseur, répondis-je.

     — Encore ?

     — Pourquoi « encore » ?

     — L'an dernier il était déjà à fond sur elle. Elle lui aurait dit si elle était intéressée, depuis le temps. Faut qu'il lâche l'affaire le poto, là.

     — Elle a jamais eu de mec, donc lâche l'affaire aussi, précisa Abel, un sourire mesquin aux lèvres.

     Là-dessus, Abel et Victor pouffèrent tous deux.

      Il était vrai que Thalia avait engendré un certain intérêt chez une bonne dizaine de garçons, l'an dernier. Par ailleurs, elle avait pris soin de les ignorer, un par un, dont un d'eux qui nous avait souligné un jour à quel point elle « faisait la meuf », suivi de violents jurons à son égard. J'avais pensé que c'était une réaction excessive pour ce qui découlait d'une simple liberté de choisir son partenaire, mais sur le moment, ni moi ni personne n'avions trouvé cela pertinent de le relever.

     Soudain, une main tapota mon épaule. Je m'attendais à voir Thalia qui aurait oublié de me dire quelque chose, mais il s'agissait d'une élève dont j'ignorais le nom, bien que son visage me soit étrangement familier.

     — C'est à toi, ça, nan ? me demanda-t-elle en me tendant ma carte de self.

     — Ah, euh, oui, balbutiai-je. Elle était où ?

      Je ressentais une gêne, sans en comprendre véritablement la raison. Peut-être parce que je n'appréciais jamais que des gens bizarres viennent me parler, et aussi parce que c'était ridicule de perdre sa carte de self le jour de la rentrée. 

     — Par terre dans le couloir.

     — Ah, merci.

     — De rien.

     Elle s'apprêta à tourner les talons lorsque la voix de Léandro s'éleva :

      — Waouh, y a Satan.

Ezra et Gabriel - TOME 1 (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant