Tw : crise d'angoisse
— Ta mère est au courant ?
— Oui, oui, bien sûr, mentis-je.
— Bon, je n'y vois pas d'inconvénient, les garçons.
Ce qui me rassura ne fut pas cette réponse, ni même la question inattendue qui la succéda (« Tu aimes la patate douce, j'espère, chef ? ») Non, ce fut le petit chant qu'il se mit à fredonner, témoignant que ma présence ne le perturbait pas outre mesure. J'ignorais qui détenait le dernier mot dans cette maison, cependant, j'imaginais mal la mère d'Ezra m'expulser malgré l'approbation de son époux. Du moins, ce fut l'idée que je tentai de répéter en boucle dans ma tête, d'abord sous la douche, et puis, durant l'entièreté de l'heure où nous effectuâmes nos devoirs. Ou plutôt, lorsque Ezra les fit, et que je me contentai de le regarder.
Suzanne arriva finalement sous les coups de dix-neuf heures. Elle n'avait pas encore retiré son manteau lorsqu'elle entra dans la chambre pour embrasser son fils et me saluer. À en constater son absence de surprise en me voyant, il était aisé de supposer que son époux l'avait bel et bien informée de ma présence. En ce cas, il l'ignorait, mais je le remerciais très fort.
Dès lors, lorsque ce fut l'heure de dîner et que nous nous rendîmes dans le salon, je n'appréhendais plus vraiment le moment du repas.
Je l'attendais même avec impatience. De nouveau, j'allais m'immerger au sein d'une famille unie.
— Vous avez bien avancé ? nous questionna le père d'Ezra alors que nous nous installions à table.
— Beh, ouais, répondit Ezra, on a terminé, il manque plus que la conclusion.
— Super. Demain, dernière journée et week-end ! Courage, les garçons. Au fait, chef, tu veux rester dîner shabbat ?
Une troisième nuit ? Me proposait-il de rester une troisième nuit ?
Je ne pus m'empêcher de sourire. Mais, loin d'éprouver l'envie de décliner, ma raison prit le dessus. Je me sentais gêné d'abuser de leur hospitalité. Aussi refusai-je à contre-cœur tout en précisant qu'une autre fois serait avec grand plaisir.
— Oui, aucun problème. Tu choisiras le menu, chef.
— Oh... – mes joues flambèrent – ce... ce n'est pas nécessaire...
— Mais si, si ! rétorqua-t-il aussitôt, moi ça me fait plaisir. Tu sais, chez nous, on adore ça, cuisiner.
— Oui, et ça se voit, vous cuisinez très bien.
— C'est gentil. Tes parents aussi aiment cuisiner ?
— Euh, non, pas vraiment.
Chez les Lumbroso, je n'avais pas vu l'ombre d'une boite de conserve, à l'exception peut-être d'une boite de concentré de tomate. Par conséquent, afin qu'ils ne ressentent pas le besoin urgent d'appeler l'ASE, je leur épargnai le fait que j'avais passé l'intégralité de mon enfance à manger des plats industriels, et que cela m'avait toujours convenu, par ailleurs.
— Ah, bon, ben, chacun ses petits plaisirs, j'ai envie de dire.
Le sudoku et les mots croisés étaient-ils des petits plaisirs ? Je l'ignorais. Pourtant, si j'avais longtemps pensé qu'il s'agissait d'une attitude propre à toutes les mères, je commençais sérieusement à considérer plutôt cela comme un spectacle malheureux, synonyme de solitude austère, dont finalement, ma mère en serait le seul spécimen jamais observé.
Soudain, concurremment à cette pensée, l'image se dessina dans ma tête.
Maman, seule, sur son fauteuil.
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Ezra et Gabriel - TOME 1 (BxB)
Teen FictionGabriel a tout pour être heureux : il est populaire, a un fidèle groupe d'amis, sans oublier sa petite amie Ivanie. Pourtant, ce bonheur manifeste, ce garçon de seize ans peine à l'atteindre : il déteste la ville où il habite et se rendre au lycée e...