Chapitre 67

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     Nous quittâmes notre groupe d'amis peu de temps après le départ d'Ivanie. Il était déjà la moitié de l'après-midi et une heure et demie de trajet nous attendait afin de nous rendre au bord du lac. J'étais légèrement réticent à partir si loin sans que nous ayons prévenu nos parents respectifs, mais il s'agissait d'un premier entrainement à notre périple. Et, surtout, je devais assumer l'esprit aventureux que j'avais dépeint auprès d'Ezra de longs mois maintenant.

    Lui, me surprenait à être particulièrement serein. Sa rage était-elle plus intense ? Maman n'aurait jamais dit non à cette petite excursion, qu'en aurait été de ses parents ?

     Quoi qu'il en soit, il semblait avoir attendu que nous nous retrouvions assis dans le RER pour me questionner enfin.

    « Savait-elle ? »

     Je lui racontai ainsi, non sans appréhension, l'échange entre Ivanie et moi.

— Tu es soulagé ?

— O... Oui, hésitai-je. Mais elle ne m'a rien dit. Ça me perturbe.

— Il y avait vraiment quelque chose à dire ?

— Je sais pas. Ce qu'elle pense, tu vois ?

— À propos de quoi ?

— Ben... Non, en fait, non, t'as raison.

     Il posa furtivement sa tête contre mon épaule avant de la retirer aussitôt.

     Quelle lourdeur, craindre sans cesse le regard d'autrui... Pour cette raison, je priai durant l'entièreté du trajet qu'il n'y ait personne au bord du lac. Mon soulagement fut grand lorsque je découvris de mes propres yeux que mon vœux avait été exaucé. Sur la plage, une dizaine de personnes tout au plus, bien occupées à se concentrer sur leur promenade. Lorsque je partageai ce constat à Ezra, il ne manqua pas l'occasion de rétorquer que le mauvais temps avait aussi du positif.

— En plus de permettre la sortie des escargots, c'est ça ? lui demandai-je tandis que nous nous installions sur le sable, emmitouflés sous nos doudounes.

     Il rit.

— Tu t'en souviens... C'est mignon.

— Bien sûr que je m'en souviens, confirmai-je avec fierté.

— Et alors, tu n'en as vraiment jamais fait, des élevages d'escargots, ou c'est que t'étais pas encore en confiance pour me l'avouer ? me demanda-t-il.

— J'en savais rien, en vérité. Je n'ai pas de souvenirs de moi enfant. Ou très peu... Très limités... Ma mère, ma mamie... C'est tout.

— Aucun, aucun ? Même pas à l'école ? s'étonna-t-il.

— Non, aucun. Ça me perturbe de pas savoir quel enfant j'étais.

— Tu m'étonnes, c'est déroutant. Mais je suppose qu'on ne change pas vraiment beaucoup... Du coup, je suis sûr que tu étais espiègle.

— Et moi, je t'imagine réservé.

— C'était le cas.

— Déjà bon élève, aussi ? 

— J'étais pas dans les premiers mais ça allait. En tout cas, j'ai pas le souvenir d'avoir eu une scolarité compliquée, à part en cm1 où j'ai commencé à me mettre la pression tout seul pour les notes.

— Comme maintenant, j'ai envie de dire, non ? le taquinai-je.

— Non, c'était excessif. Je voulais faire plaisir à mes parents et j'avais l'impression de les trahir à la moindre mauvaise note. Résultat, j'avais si peur d'être en situation d'échec qu'un jour je me suis mis à refuser d'aller à l'école. Je préférais ne pas y aller que risquer d'avoir une mauvaise note. Je me revois en train de pleurer par terre, de crier, de me débattre quand mon père essayait de me tirer vers la voiture. Au début ils croyaient que je faisais un caprice et ils se sont grave énervés, en plus de me forcer à y aller. Mais, à force de subir mes crises tous les matins, ils ont fini par m'amener voir un psychologue.

Ezra et Gabriel - TOME 1 (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant