Chapitre 14

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     Un frisson parcourut mon échine. Elles se connaissaient, donc. Était-ce un coup monté depuis le début, une façon de tester ma fidélité ? Venais-je de sauver ma peau in extremis ?
À la vitesse de l'éclair, je passai mentalement en revue tous les textos que je lui avais envoyés depuis le début. Je ne lui avais jamais dit qu'elle me plaisait puisque ce n'était pas le cas. J'avais déjà complimenté sa tenue, par contre, cela, j'en étais certain. Mais, il n'y avait rien d'ambigu, elle était sincèrement bien habillée, ce jour-là.

— Hé ho ! lança-t-elle en claquant des doigts, ce qui me fit reprendre contenance, stresse pas, y a rien entre nous. Je t'apprécie bien, c'est tout. Les gens me gavent, au lycée, t'es l'un de seuls qui ne me sort pas par les trous de nez.

     Je la fixai dans les yeux, silencieux.

— Ivanie, je n'ai plus de contact avec, ajouta-t-elle comme si elle avait été témoin direct de mes pensées, c'est juste une anecdote marrante ce que je t'ai dit – elle se mit à rire – y avait un cheval, genre, c'était le plus beau, il s'appelait Tornade, même. T'sais, le prénom cliché des chevaux quoi, et genre on se disputait tout le temps pour pouvoir le monter. Et bref, quand j'ai arrêté l'équitation y a environ deux ans, je lui avais envoyé un message sur Insta pour qu'on fasse la paix. Après ça on s'est follow, et c'est là que j'ai vu qu'elle était en couple avec toi.

— Non, jure ? m'exclamai-je alors, hilare.

     En dépit des montagnes russes émotionnelles que je venais de vivre, cette information eut don de m'amuser. J'imaginais difficilement Thalia et ma copine se disputer à treize ans pour un cheval, mais dans un sens, ce n'était pas non plus surprenant.
     Cela dit, je comprenais encore moins pourquoi elle avait voulu organiser cette soirée. Je ne pouvais m'empêcher de trouver la requête insolite. Jamais, durant l'année dernière, pourtant déjà amis, nous n'avions songé à nous voir seul à seul.

— Mais du coup, pourquoi m'avoir invité, au fait ?

— Ben comme ça ? On a pas le droit d'inviter des amis ?

— Si, si.

— Vous les mecs vous vous emballez trop pour le moindre truc, arrêtez de vous croire irrésistibles, dit-elle en pouffant. Je ne suis pas intéressée par toi. Je t'invite parce que tu es un ami et que j'aime bien inviter des amis, voilà tout.

Je ne pouvais qu'admirer son honnêteté, et, après réflexion, je me trouvai bien bête.

— Mais du coup, quelqu'un d'autre t'intéresse, au moins ?

— Non. Aucun.

— Aucun de la longue liste de tes prétendants ? m'indignai-je.

— Non, aucun. Bref. Tu veux qu'on fasse des gaufres ?

J'opinai avec grand plaisir et nous nous rendîmes dans la cuisine. Tandis qu'elle attrapait le tabouret pour atteindre le placard du haut, elle me lança un regard furtif.

— Et est-ce que je peux te dire un truc sans que tu ne le prennes mal ?

— Oui ?

Que comptait-elle m'annoncer ? Que toute ma bande de potes, à l'exception de Tasnîm et Olympe qu'elle adorait, je le savais, était tout bonnement ridicule à parler toujours plus fort que les autres ?

— Tu vois, à peine on a commencé à discuter, tu m'as demandé si j'avais quelqu'un. Est-ce qu'on est vraiment réduites qu'à ça ?

— Qui, « on » ?

— Les filles.

— Réduites, à ?

— À n'exister que pour vous.

Je restai mutique, pour la simple bonne raison que j'ignorais que répondre, ce qui amplifia son agacement.

— Quand un mec me parle, sa première question est « t'as quelqu'un dans ta vie ? » et « c'est quoi ton type de mec ? » au lieu de me demander plutôt quels sont mes hobbies, j'en sais rien, moi !

— Peut-être qu'ils sont intéressés par toi ?

— Oui, et c'est bien ça le problème. Je ne cherche pas de petit copain. Un ami, oui. Mais j'ai l'impression que c'est impossible, que vous avez toujours une idée derrière la tête, que vous voulez toujours plus que de l'amitié ! Et même si vous voulez bien de l'amitié, le premier sujet que vous choisissez d'aborder c'est mes potentiels mecs !

— Ah... Désolé, alors.

— C'est rien.

— Si tu veux, tu peux me parler de tes hobbies.

— OK. Je fais du surf, l'été.

— Sérieux ?

— Oui. Je me suis découvert cette passion il y a deux ans, et depuis, je pense faire mes études à Pau pour être proche de l'océan.

— Ça tue !

Elle me décocha un sourire pour toute réponse et sortit les ingrédients un à un.
Et puis, soudain, elle prit une grande inspiration.

— En fait, Gabriel, j'ai peur de pas être normale, mais je t'avoue que je ne suis jamais tombée amoureuse et genre, avoir des relations sexuelles ça ne m'intéresse pas du tout.

— Ah bon ?

— Ouais.

— Ça viendra peut-être plus tard, non ?

— Peut-être. Mais imagine, ça vient jamais ?

— Ben... Ça dépend, tu le vis mal, ou pas ?

— Pour le moment, je m'en fiche. Au contraire. Quand je vois mes copines et tous les problèmes qu'elles ont avec leur mec, entre ceux qui les traitent mal et ceux qui les trompent, y a pas une semaine où y en a pas une qui m'appelle en pleurant.

— Et les filles ?

Là-dessus, elle fronça les sourcils, mais loin de paraitre consternée, elle se contenta de sourire.

— Non plus.

— Pourquoi tu souris ? m'enquis-je, intrigué.

— Ça me surprend de toi que tu puisses penser à cette possibilité.

— Il faut bien creuser !

     Elle se mit à rire et se précipita de nouveau sur son téléphone, pianotant le clavier à la vitesse de l'éclair et revint auprès de moi. Tandis qu'elle versait la farine dans le saladier, une sensation d'étrangeté émergea en moi. Le fait qu'elle n'était pas la Thalia du lycée, ainsi que toutes ses confessions, ne participaient pas à rendre la situation moins singulière.
     Plus que jamais le lycée me parut nuisible, mais parmi toute cette hostilité, il y avait tout un tas de personnes qui cherchaient à y survivre. Or, je ressentais comme le besoin de mieux connaître les personnes dans leur profondeur, rompre définitivement les carapaces, la mienne comme la leur, parce qu'il n'y avait plus de place pour les faux semblants.

— J'ai bien aimé ce que tu m'as répondu, dit-elle. La seule et unique fois où je me suis confiée sur ça à un mec, il m'a répondu que c'était parce que je n'avais pas encore goûté sa teub.

— Romantique.

— T'as vu. Bref, vous êtes méprisables. C'est pour ça que ce soir, je me venge de tes congénères et je vais te faire travailler. Pèse le sucre !

     J'attrapai le sachet et jetai un œil furtif sur la recette. Cinquante grammes. Je le versai ainsi dans le bol situé sur la balance, lentement, parce que je craignais que tout le contenu ne se déverse d'un seul coup, et tandis que je m'appliquai à la tâche, elle se mit à rire en secouant la tête.
— À ce rythme, demain, on y est encore ! 

Ezra et Gabriel - TOME 1 (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant