L'escorte de l'héritier

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J'atteins promptement le bas de la montagne et fais, à contrecœur, mes adieux à Iovannen. Je ne pensais pas la revoir un jour, ni lui faire de nouveaux adieux, et pourtant me voici à rejoindre le sentier de l'Arche Ouest à toute vitesse. Mes bottes de nouveau à mes pieds, je dévale les dernières pentes de la forêt où patiente sagement le garde de tantôt, les rênes de ma jument à la main, l'air tout aussi penaud qu'à notre rencontre. L'aube se lève et je jette un ultime coup d'œil à la cité elfique. Je n'en distingue presque rien, de par les nombreux hauts arbres aux feuillages imposants, mais je pressens l'attention du Seigneur Eldaer sur moi, mais également d'Amann et de tous les Elfes.

En fait, les chants s'élèvent avec résolution. Des poèmes ancestraux sur le courage des mortels, sur la guerre surtout, sur l'espoir et la détermination, sur les sacrifices et les victoires, sur les défaites et les contre-attaques, m'insufflant autant de courage qu'ils espèrent pouvoir me transmettre avant mon départ précipité. Je les remercie dans un coin de mes pensées et bondis sans tarder sur la selle. 

Le garde me tend les rênes aussitôt. Il ne prononce aucun mot. Pourquoi faire ? Que pourrait-il m'offrir de plus que tous les chants de son peuple, toutes les mélodies de Lumière ? Je les grave dans ma mémoire et dans mon cœur, lui qui est en cet instant au bord de mes lèvres, et je m'en vais sur ces cris de détresse.  

Sans pause, ni détour, je chevauche en ligne droite dans les bois qui entourent Iovannen et perce la plaine qui s'étend au sud, longée par les Monts d'Or, la principale résidence des Nains, là où ils ont trouvé le plus de richesse, un lieu déserté d'intérêt dorénavant, hormis celui de l'héritage du passé. Ils y ont tout pillé, tout miné, tout vidé, mais ils y ont établi leur trône bien avant l'avènement des Mages Fous et s'en servent aujourd'hui de forteresse et d'abri sûr pour leur peuple ; ils y ont réuni les enfants, ainsi que les hommes et les femmes qui ne peuvent se battre. Tous leurs guerriers sont répartis dans toutes les autres montagnes qu'ils possèdent, placés par leurs esprits stratèges pour combattre l'ennemi. 

La plaine à découvert révèle tout au sud ce qui apparaît comme une forêt. Il s'agit du Bosquet des Saules qui borde le Marais Gris. Bien que l'avancée y soit complexe, éreintante et démoralisante, je suis convaincue qu'Orist aura choisi cette route-ci, car elle s'ouvre sur des territoires affranchis, elfiques ou mortels, et mène vers le Roi des rois. Il ne risquera pas des chemins secondaires. L'ennemi l'imaginerait davantage sur des sentiers perdus ou oubliés de tous, – de tous, sauf des êtres anciens, ce qui inclut tous les Mages, qu'ils soient libres ou fous. 

Toutefois, un hurlement déchirant l'air me prouve le contraire. En relevant les yeux du bosquet, je distingue tant bien que mal des vautours planant dans le ciel, à demi masqués par la brillance du soleil. Je presse ma jument ; il me faut entrer sous les arbres avant qu'ils ne décident de prévenir des adversaires que je ne tiens pas à affronter.

Malheureusement, je m'aperçois combien j'ai sous-estimé les forces de l'ennemi, quand des chevaux sombres et belliqueux apparaissent dans la plaine, galopant derrière moi avec une vélocité terrifiante. Ils me rattrapent et le bosquet ne me sauvera pas. Qui plus est, je ne voudrais pas les attirer vers la troupe d'Orist, je dois donc les abattre dès à présent et ne pas m'aventurer sous les arbres. 

Soit. Un regard sur les attaches de ma monture et je tire immédiatement mon épée de son fourreau. L'animal comprend. Elle est intelligente et maintient une vive allure sans exagérer sa foulée, adoptant un rythme souple et soutenu, régulier et habile sur ses sabots. 

Les cavaliers se rapprochent, je perçois les souffles de leurs chevaux et les cris qu'ils poussent dans le but d'effrayer leur proie. Ce serait mal me connaître. Seulement, ils ne viennent pas à mon niveau, ni ne me dépassent. Je zieute par-dessus mon épaule. L'un d'eux me vise de son arc. Certainement pas ! Je me redresse tout à coup, bascule sur le côté et m'assois face à eux. Ils sont quatre. Le plus proche fouette sa monture qui hennit bruyamment et enfin, il se retrouve à mon niveau. Tant mieux. 

Dame AerynOù les histoires vivent. Découvrez maintenant