Les Anciens Remparts

57 2 0
                                    

La cité des Remparts, place-forte de l'ancien royaume des Hommes, est exactement comme l'on se l'imaginait. Des bois au sud, les plaines à l'ouest, les Monts d'Or au nord et tout autour, une vaste steppe au centre de laquelle, sur une colline rocheuse, s'élèvent de hauts murs surplombant d'immenses douves et l'unique passage est le pont-levis, dressé pour le moment. De loin, l'œil nu perçoit ses tours d'angle et ses nombreuses tourelles ; les gardes patrouillent sur toutes les longueurs, leurs têtes dépassent à peine des créneaux et quelquefois un visage apparaît des meurtrières.  

Immédiatement, l'absence de cadavres, d'ossements ou de pénombre m'interpelle. Notre chemin se déroule sans encombre, du champ de blé à la steppe et jusqu'aux douves. Cela m'étonne à vrai dire que les Anciens Remparts acceptent d'abaisser leur pont-levis avec une telle docilité. Ne sont-ils pas en guerre ? Les Mages Fous n'ont-ils pas détruit leur cité ? Qu'attendent-ils ? Après tout, ce royaume est en ligne directe avec leur Enclave Nord-Est. Les Hommes par-ici devraient être vaincus depuis longtemps ou, au moins, montrer les signes d'agonie évoqués par Duran. 

Une fois le pont-levis franchi, les sentinelles nous ordonnent de patienter dans la basse-cour. Deux d'entre eux courent porter le message de notre arrivée à leur Seigneur. Nous ne distinguons toujours rien d'eux, encapuchonnés, masqués, des ombres armées. En revanche, les villageois nous remarquent dès que nous pénétrons dans l'enceinte des remparts. Chacun s'occupe de sa besogne, nourrit les poules, nettoie les chevaux, marchande. Les enfants ne jouent plus. La vie ralentit d'un coup. Et tous les regards sont braqués sur notre petite compagnie. 

Je confirme les paroles du sentinelle. Les étrangers ne sont pas les bienvenus dans leur cité. La méfiance règne en maîtresse entre ces murs. Je parie même qu'ils seraient prêts à se soupçonner les uns les autres. Les Mages Fous les tueront peut-être par le doute, car une communauté désunie et craintive est une communauté avec un pied dans la tombe. Ils profiteront de ce climat d'incertitudes et de trouble pour leur donner le coup de grâce. 

Les deux messagers reviennent bientôt et nous guident à travers la cité. Le soleil brille fort dans le ciel et appose une douce couleur dorée sur les murs et la pierre. Notre troupe demeure dans un silence pesant. Je ressens toujours la tension constante dans les épaules de l'Homme. Il faudrait vraiment que nous ayons une conversation honnête sur ses origines. A-t-il combattu avec ces soldats contre les Mages Fous ? Ou contre eux, en défendant l'un de deux autres royaumes des plaines ? 

Les gardes nous ouvrent la voie et nous atteignons la haute-cour où, en son sein, trône une tour plus imposante et majestueuse que les autres. La Tour du Roi des Remparts, avant que ce monarque ne devient qu'un Seigneur au service de son compère du grand Sud. Les lourdes doubles portes s'écartent à notre passage. Nous sommes arrêtés au bas de l'escalier en colimaçon. Les sentinelles déposent nos armes contre les premières marches, l'un d'eux lance un regard appuyé à l'Elfe, le réconfortant sur le sort de son carquois, et ils nous fouillent pour vérifier que nous n'en cachons pas d'autres. 

— Qu'est-ce donc ? 

Un sentinelle a trouvé Aetheria, sous sa forme de repos. Je réponds avec une fausse innocence :

— Une arme brisée et inutilisable, ainsi que vous le constatez. Il s'agit d'un cadeau d'un ami très cher. Séparés par la guerre et les tourments, je transporte ce manche partout où je vais, en souvenir de cette amitié.

Vrai. Je ne mens pas. Aetheria provient du savoir-faire elfique, une oeuvre magnifique des Elfes de Lumière qui m'a été confiée dès mes premiers combats. Cette lame demeure un souvenir délicat pour ma part et cuisant pour les Mages Fous, car j'en ai éliminé quelques-uns avec son aide et ils la craignent désormais. Le soldat hésite. Il se dit que je pourrais m'en servir pour frapper. Or, à ses yeux, je ne suis qu'une femme. Ou plutôt, une femelle. Quel mal accomplirais-je avec un simple manche ? Il le rend et nous sommes autorisés à grimper. L'Elfe doit cependant abandonner son arc et les gardes promettent deux fois d'affilée de ne pas y toucher. Il le place lui-même et le regarde longuement, déchiré à l'idée de s'en séparer. 

Dame AerynOù les histoires vivent. Découvrez maintenant