— Aeryn !
Le cri pressé d'Orist me glace le sang. Il s'est effondré sur le banc au fracas de la foudre dans le ciel. Je la sens maintenant, la pestilence. Faisant fi des bruits inquiétants venant de la Tour et des grincements du pont-levis, je me jette à ses côtés et le rattrape de justesse avant que son corps, abandonné de toute vitalité, ne roule par terre.
— Que se passe-t-il ? Que vous arrive-t-il ?
— Ce n'est pas important, Aeryn. Vous devez... Vous devez comprendre une chose. Les Mages Fous ne détruiront pas le monde, dans l'immédiat. Leur déraison est si grande qu'ils préfèrent jouer avec leurs proies plutôt que de les dévorer. Ils ne cherchent pas à dominer, mais à humilier, à écraser, à faire souffrir. C'est un avantage pour vous. C'est un cadeau même ! Tant qu'ils ne se sentiront pas au bord du gouffre, ils maintiendront leur siège sans massacrer les Hommes du Sud. Ils veulent que les mortels les supplient et chutent eux-mêmes. Cela explique aussi pourquoi ils usent des Remparts en guise de pantins. Ils s'amusent. Vous retournerez leur perversité contre eux, pour gagner du temps.
— Arrêtez, il suffit ! Levez-vous et ne parlez plus comme si vous vous apprêtiez à mourir. Du nerf, vieil homme !
Je le hisse sur ses jambes qu'il en soit capable ou non, sous ses protestations. À cet instant, les doubles portes de la Tour s'ouvrent d'un coup et déferle alors la centaine d'invités. Ils forment une folle vague impitoyable qui se répand dans toute la haute-cour et ruissellent à toute vitesse vers les niveaux inférieurs des Remparts. Orist me saisit par les épaules et me tire abruptement derrière le banc, posant un doigt sur mes lèvres pour me faire taire. Je note l'absence de nos compagnons parmi cette marée affolée et m'en rassure en quelque sorte.
Ces citadins ont l'air pris dans une démence telle qu'ils ne pensent plus, qu'ils ne se contrôlent plus, et je comprends aisément ce qui les pousse à agir de cette façon. L'on dirait des chiens qui répondent à l'appel de leur maître. Le Mage Fou, qui les a asservis, s'est avancé dans la cité par le pont-levis, et il a transmis ses ordres. Ils courent à en trébucher sur les pavés, à se bousculer, voire à se marcher dessus. J'assiste à ce chaos sans puissance, ahurie derrière le banc. Ils partent à la chasse. Ce qui signifie que nos compagnons ont échappé à leur vigilance. Je me demande où ils ont fui, et comment. Il nous faut les retrouver et sortir de ce traquenard.
Nous patientons, plus silencieux que des tombes, à l'abri de la pierre. En face de nous, le jardin de la haute-cour donne directement sur un vide menant à la basse-cour, quelques étages en dessous. J'y rampe et m'y penche, aplatie au sol, usant de la pénombre pour me fondre dans le paysage. Mais je ne vois ni paille où sauter, ni quoi que ce soit qui ralentirait notre chute. Par cette voie, nous devrions escalader le mur, peut-être nous servir d'une corde, et ce processus serait trop long, trop susceptible de nous révéler à l'ennemi. Je regagne le banc, pas le moins du monde sereine. Orist s'affaiblit de seconde en seconde.
Le tonnerre gronde une fois de plus, et le ciel ne nous épargne plus. Les étoiles ont disparu, mortes ou éteintes, étouffées par l'Obscurité. Des gouttes ruissellent ci et là, annonciatrices d'une pluie torrentielle qui s'abat soudainement sur la cité. L'eau rebondit contre les balcons, martèle le sol, impitoyable, et brouille notre vue. Je me rends compte enfin que j'ai laissé ma tenue au Palais des Servantes et que cette robe s'alourdit par l'humidité, elle me dérangera si je dois combattre. Peu importe. Le plus important est de fuir cet endroit de malheur.
La pestilence se diffuse tout autour de nous. Un coup d'œil au magicien m'indique que la magie des pantins ne l'a pas atteint. Pas encore. Ou serait-il qu'Orist dise vrai ? Que les Mages Fous joueront d'abord avec nous ? Quel divertissement obtiendraient-ils si nous devenions leurs petites poupées dociles ? Je le surveille tout de même, au cas où l'idée lui prendrait de m'attaquer pendant que je lui tourne le dos.
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Dame Aeryn
FantasyLe crépuscule d'une ère menace tous les peuples encore libres, les ténèbres s'étendent sur toutes les terres souveraines et le monde tel qu'il est connu s'apprête à chavirer dans l'Obscurité, sous le joug des Mages Fous, les Maîtres absolus de la ma...