Les renforts

25 2 0
                                    

Tout en haut de la tour, à l'air libre, la coiffe balayée par le vent, sous les nuages noirs et gorgés de ténèbres, Asemo Mallor jubile ; ou, du moins, est-ce sa première réaction, car il a beau rire et se divertir de ce qu'il voit au dehors de sa prison, il finit rapidement par sombrer dans la même folie que tous ses semblables et bientôt ses ricanements moqueurs et hautains se transforment en tremblements de rage et en jurons de haine remplis de tout son mépris pour le restant du monde. Il s'éloigne du vide et descend deux à deux les petites marches en colimaçon qui mènent à ses appartements.

Car, là dehors, par-delà sa tour, par-delà sa prison et son vaste cercle de geôles qui constitue Rae Shakhar, la Lumière perce l'Obscurité. Cela ne peut signifier qu'une chose : les Elfes approchent, et pas n'importe lesquels. Les soldats de la Grande Région. Ils viennent pour lui, pour l'attaquer et Asemo Mallor ne doute pas un instant que les fondations de son domaine résisteront à tous les assauts imaginables et il s'amuse de les voir aussi près d'une déroute imminente, mais le mal assombrit sa vision et au lieu de rire, il commence à s'agacer de leur arrogance. 

Le Maître de l'air, le dénommé Cadan, n'est pas retourné à sa surveillance de la campagne bordant les plaines centrales. Lorsque le Seigneur des Chaînes de l'Ombre débarque en trombe, bousculant ses portes avec fracas, il sait qu'une crise ne tardera pas à éclater et elle survient plus tôt que prévu :

— Misérables vers de terre ! crache Asemo. Ils osent s'aventurer sur mes terres, ils osent me défier ! Créatures ignares, orgueilleuses et insolentes, je vais leur apprendre une bonne leçon, une leçon dont ils se souviendront pour toute leur éternité !

Cadan, bien plus maîtrisé que le Seigneur de Rae Shakhar, ne laisse pas l'Obscurité ternir son jugement et il ne s'emporte pas, observant la situation avec une logique implacable.

— Ils attaquent avant l'aube. Et depuis des siècles que cet endroit existe, ils n'ont pas lancé beaucoup d'assauts. Une demi-douzaine, tout au plus. Les Elfes redoutent Rae Shakhar. Ils bouchent leurs oreilles pointues aux hurlements de vos victimes et n'ont guère cherché à libérer les malheureux qui disparaissent ici. Ni ceux de la Grande Région, ni le Haut Roi, dit-on, des Sylvains et des Lune. Pourquoi s'abattraient-ils maintenant sur vos terres, Seigneur des Cris d'Agonie ? 

— À cause de la fille de Zergrath, bien sûr ! 

Soudain, Asemo cesse de tourner en rond, poings serrés, et il suit le raisonnement de Cadan, Maître de l'Air et clairvoyant. 

— Oui, vous avez raison, Cadan le Sans-Trouble. Par quelque moyen que ce soit, ils ont été mis au courant pour sa capture et ils entreprennent une extraction d'urgence. 

— Ils seront donc désespérés et prêts à tout, conclut Cadan. Les Elfes ont mémoire longue. Ils se remémorent des Huit, de Morra Narbethec et de ce que la fille de Zergrath pourrait devenir entre leurs mains. Ils empêcheront son transfert à tout prix. Ne pouvez-vous hâter le Maître des Portails à nous rejoindre dès à présent ? 

Asemo secoue violemment la tête, a priori très en colère à ce propos.

— Les Elfes de Lune, pour reprendre leur maudit Repère au sud-est, se surpassent à ce qu'il paraît. Ils ont massacré trois des quatre Mages que Morra Narbethec avait envoyés, en plus des deux patrouilleurs sur place et des cinq veilleurs de ces terres. Ne reste plus que lui, et ses portails, pour repousser leurs offensives. Cet idiot, trop confiant, refuse toute aide. Les Huit lui ont ordonné d'ouvrir un portail pour que d'autres lui prêtent main-forte, mais voilà des heures qu'il a rejeté ce commandement. Il prétend s'en sortir à merveille et affirme que, demain à l'aube, les forces elfiques ne seront plus. S'il ne se charge pas du transfert de la fille en temps voulu, j'ai pour ordre de l'attendre de pied ferme et de lui trancher la gorge. Il a intérêt à tenir sa promesse. 

Dame AerynOù les histoires vivent. Découvrez maintenant