Le vent de l'espoir

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Une fois remis de ses émotions, Torebok s'est chargé des diverses tâches qui lui revenaient, malgré lui, depuis son arrivée à la forteresse. Par là, il serait plus correct de dire, qu'en présence des membres de la troupe, surtout au grand retour de Veseryn qui boudait toujours par ailleurs, il s'est soudain égayé, n'a pas tardé à afficher son légendaire rictus narquois et a entrepris de minimiser en quelque sorte sa mission, et les conséquences de celle-ci. En d'autres termes, il a refusé de se montrer abattu plus longtemps. Ce Nain détient une fierté et un orgueil pesants et très présents dans son comportement ; il ne supporterait pas les regards de pitié de ses amis. S'il a toléré les yeux larmoyants de Merialeth, s'imprégnant de son beau visage comme s'il le contemplait pour la dernière fois, il n'a pas voulu dévoiler ses véritables sentiments devant la jeune fille. 

L'annonce la secoua, pareillement que pour nous tous. Veseryn n'étant pas une adulte réfléchie et ne maîtrisant pas ses réactions, elle s'est contenté de scruter le Nain durant deux ou trois longues minutes, en silence, avant de fondre en larmes. Quelques heures se sont écoulées, elle pleure toujours. À en juger par son immense chagrin, l'on penserait Torebok d'ores et déjà enterré. Ce qu'il est, je suppose. J'admets que sa vue me trouble. Je peine à le regarder directement et quand nous nous parlons, je ravale de justesse des excuses ou des encouragements qui ne rimeraient à rien et ne signifieraient rien. Il tient le choc en apparence. Nul ne sait ce qu'il se passe dans sa tête, mais nous pouvons tous le déduire. Merialeth a employé plusieurs tactiques, plusieurs tentatives pour discuter avec lui. Il l'a repoussée gentiment, lui adressant un bref sourire, alors que son fardeau luit dans ses pupilles vitreuses. Plus le temps avance, plus son départ est proche, plus il semble ailleurs, loin d'ici, de ce monde et de lui-même.

Néanmoins, ainsi qu'il le devait, peu importe sa stupeur, il a accompli ses dernières obligations avec noblesse sans faillir. D'abord, il s'est enfin exprimé face au conseil du Roi. À cette occasion, j'ai pu rencontrer des hommes d'âges variés, mûrs pour la plupart, une dizaine de sièges et de voix différentes qui s'accordent et se contredisent tour à tour, mais qui œuvrent tous pour le bien du Sud. Je n'ai pressenti aucune malice en eux, ni ambition. Ils ont été heurtés par l'assassinat de leur Roi et lorsque Torebok aborde ensuite le sujet de Duran, ils ne se ferment pas à sa libération. Ils ont agi sous l'effet de l'effroi. Ils ont donc promis de le libérer, dès que nous serions partis. Ils n'apprécient pas qu'un Homme aussi mystérieux et qui pourrait jouer un double-jeu se retrouve avec l'arme et le savoir de son fonctionnement, tandis que nous touchons du but. Simple précaution, disent-ils. 

Notre ami Nain insiste, ils se braquent. Par conséquent, afin d'éviter qu'ils changent d'avis, Laerran lui fait signe d'abandonner et d'accepter leurs conditions. Ces érudits ne sont pas cruels. Ils proposent que notre compagnon se batte avec eux, pour le Sud, s'il le souhaite. Ou qu'il s'enfuit au moment où sauvages et Mages Fous réitéreront leur attaque, qu'il regagne les Rivières Blanches seul. Un test évident se cache sous leur suggestion. Ils surveilleront de près Duran, faisant très attention à ce qu'il ne commette pas de bévue. Notre ami n'aimera pas cela, mais il obtiendra au moins la satisfaction de participer à cette fin de guerre, d'une manière ou d'une autre, à un lieu ou un autre. Qui plus est, nous nous séparerons tous.

En accord avec notre dessein, la compagnie se dissout. Après avoir longuement conversé avec le conseil du Roi, à qui nous avons fait jurer de protéger Veseryn coûte que coûte, à la défendre comme toutes les autres femmes et Dames du Sud, nous nous inclinons mutuellement, un respect conscient et solennel. Des adieux lourds et étouffants. Ces hommes nous confient, de leur plein gré ou non, le sort du monde tout entier. Orist Norfir avait tout prévu, j'en suis sûre. Il n'a pas choisi les membres de notre troupe au hasard ; Torebok et sa magie inattendue, Laerran et son statut de soldat, guerrier et Prince, Duran et son courage, son hardiesse et sa bonté, Veseryn et son grain de folie grâce auquel elle fonce au-devant du danger sans arrière-pensée, et moi avec mes multiples connexions et pouvoirs. C'était écrit. Dans le brun de la terre, dans les reflets de l'eau, dans les rayons d'or et d'argent des cieux, c'était écrit.  

Dame AerynOù les histoires vivent. Découvrez maintenant