La jeune fille

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Rae Shakhar a tracé des sillons indélébiles en chacun d'entre nous ; cela s'est concrétisé par des cauchemars en cette nuit troublée, par des geignements ou des sursauts, des réveils brusques, la nécessité de laisser le feu allumé malgré les risques, et les airs moroses de tous. Laerran recouvre progressivement sa Lumière et il se baigne dans la magie ancestrale, quoi que diminuée et presque éteinte, des Bois Endormis. En revanche, Duran a vécu beaucoup de mésaventures en peu de jours ; tout de suite après son combat dans les plaines de la Grande Région, il a été forcé de marcher, pieds et poings liés, et ensuite il a été torturé et il a éprouvé les mêmes ténèbres que nous tous. Par conséquent, son âme s'est vite usée et abîmée. Il s'en remet bien, étonnamment. Mais il a besoin de repos et son esprit le lui interdit, l'entraînant dans des rêves mauvais. Nous savons que le temps presse et que nous partirons à l'aube pour exécuter le plan auquel nous avons réfléchi au cours de la soirée. Bien que le sommeil nous permettrait une meilleure santé et un état physique bien plus propice à affronter un siège, nous y parvenons difficilement.

Torebok, qui semblait si fier et vaillant contre l'Obscurité pendant toute la durée de notre captivité, n'a pas échappé à un sommeil perturbé. Le silence sec de Merialeth à son encontre ne l'aide pas. Il ne ravale pas son embarras et pourtant, il représente en cet instant notre lueur d'espoir à tous. Bien sûr que son entreprise à la Source était désespérée et suicidaire, que son amour transcendant pour la jeune Elfe l'a influencé – ou plutôt est-ce la liqueur qui a complètement endormi sa raison – et bien sûr, qu'il ne montre pas une très bonne image de lui, mais, au final, il se retrouve en position de sauveur et il n'a pas fui ses responsabilités. Il a suivi Orist à Iovannen, il a accepté de partager cette quête avec nous et il est prêt à se sacrifier dans ce long et éreintant voyage pour atteindre le Sud, et l'arme. Son courage et sa détermination ne sont plus à prouver. Je me demande si la belle Sylvaine n'est pas seulement gênée par le récit du Nain ; après tout, il a tout risqué pour se convertir et devenir digne d'elle, peu importe ce que cela signifie. Serait-elle capable de commettre de tels actes insensés et braves en retour ? En fait, je parie qu'elle interroge son affection pour lui. L'aime-t-elle ? Ou n'est-il qu'une vive obsession qui se tarira avec le temps ? Nous n'interrompons ni l'un, ni l'autre dans leurs réflexions. 

Les deux Elfes se sont éloignés, au coucher du soleil, dans la nuit épaisse. Elle a sûrement réclamé des conseils auprès de son Prince, perspective qui m'amuse en un sens. J'imagine mal Laerran, qui n'a expérimenté aucun amour à ce jour et de cent ans à peine son aîné, lui prodiguait quelques avertissements ou avis de grande valeur. Puis, plus tard, c'est Veseryn qui se lève et s'écarte du campement. J'ai dormi les premières heures, mais les cauchemars ont fini par m'empoigner les tripes et une panique s'est propagée en moi à l'instant où je fermais les yeux. Donc, ceux-ci sont bien ouverts, quand elle décide de vagabonder dans les Bois Endormis et je ne tarde pas à lui emboîter le pas. Sentant des regards sur moi, je note que peu d'entre nous ont trouvé le sommeil. Je rattrape la jeune fille non loin, penchée et accroupie, le visage tordu en une grimace de douleur. Il ne m'en faut pas davantage pour accourir à ses côtés, une main délicate sur son dos.

— Ne croyez pas que j'ai été aveugle à votre manège. Quand et où avez-vous été blessée ? Si nous nous écartons des Bois, je pourrai sûrement vous soigner. 

Veseryn lâche un hoquet de surprise à ma venue et s'efforce de maintenir une expression neutre, sans succès. 

— Ce n'est rien. Vraiment.

Mon seul regard las lui répond et elle commence à s'agiter, les traits tordus par l'appréhension.

— Je le jure. Je n'ai pas été blessée.

— Admettons que ce soit vrai. Vous vous massez souvent le dos et vous avez l'air de souffrir. Hors de question que nous partions à l'aube avant que vous ne m'ayez dit la vérité. Vous le savez, Veseryn, que vous pouvez me faire confiance et vous confier à moi ? N'est-ce pas ?

Dame AerynOù les histoires vivent. Découvrez maintenant