Le Fléau

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Laerran, qui avait lancé sa monture au galop, faisant fi des pleurs bruyants et stridents du bébé, darde brusquement ses yeux aiguisés vers l'est. Son cheval doit ressentir sa soudaine appréhension, car il ralentit jusqu'à tourner sur lui-même, offrant une meilleure vue à son cavalier. Nous tirons sur les rênes, n'ayant aucune idée de ce qu'il lui prend. Tout à coup, il se retourne et s'écrie :

— Par-delà la colline se cachent nos ennemis !

En effet, une demi-seconde suffit pour que des taches noires se détachent de l'horizon et de l'herbe verdoyante, et une forme plus droite et fière se distingue. Un homme, de toute évidence. Un Mage Fou, je dirais. Une lance à la main. Il est pourtant loin de nous, mais nous vise et son projectile s'envole en un sifflement menaçant et porté par le vent, nous commençons à nous disperser, à poursuivre notre route avant qu'il ne touche l'un d'entre nous. Cependant, une ombre attire mon attention et je reste sur place, dépitée par ce que je vois. Laerran maintient également sa position, jaugeant ainsi le péril auquel nous faisons face. 

Au loin, sur la colline, un autre homme apparaît, différent en stature du premier, plus fin et élancé, et il dresse méchamment le bras en l'air. L'unique bout de bois à la pointe tranchante qui filait sur nous se scinde en deux, puis en trois, puis en quatre, et puis en une vingtaine, cinquantaine de lances qui se dirigent grâce aux vagues de vent créées par son acolyte. La Magie de l'Air et la Magie de Dédoublement, ou de réplique. Nul besoin de plus d'un regard entendu échangé entre Laerran et moi ; pris par la panique, nous élançons nos montures au plein galop, affrontant alors des rafales cruelles qui se mêlent dans leurs pattes et les dérangent, cherchant à leur faire diminuer l'allure, ou trébucher, ou chuter. 

— Pluie de lances imminente ! hurlé-je.

Aucun de nos compagnons qui ont pris de l'avance ne jettent le moindre regard vers l'est et continuent leur chevauchée folle au travers de la dernière plaine nous séparant encore de la Grande Région. Ils ont reçu le message. Si nous nous approchons assez près, la magie de Lumière nous viendra-t-elle en aide, les arbres déploieront-ils leurs racines pour nous prêter main-forte et les bois préviendront-ils les Elfes de l'urgence de notre arrivée ? Dans cet espoir minime, nous ne nous détournons pas de notre objectif. 

Mais leurs pouvoirs combinés n'épargnent pas. Les lances fusent dans tous les sens. De par la distance entre la colline et nous, le Mage contrôlant l'air peine à viser correctement, ce qui nous procure un maigre avantage. Profitant de son manque de précision, nous slalomons entre la cascade de projectiles, sous les hennissements effrayés de nos montures. Par chance, celles-ci n'écoutent pas leur peur et ne fuient pas, ou ne deviennent pas hystériques, autrement nous serions déjà tous morts. Elles suivent nos directives, s'arrêtent quand il le faut, effectuent des pas de côté en toute hâte et évitent les pointes de fer de leur propre agilité.

Seulement, le poney de Torebok ne résiste pas longtemps et est transpercé d'une lance, d'un bout à l'autre d'une jambe. Le Nain se dépêche de bondir hors de la selle pour que le poids de sa monture ne l'écrase pas et roule plusieurs fois en esquivant une demi-douzaine de projectiles. Deux autres pointes fendent le pauvre animal qui lâche son dernier souffle en un râle de douleur. Duran voudrait faire demi-tour, mais il est débordé par l'assaut et ne parvient pas à manœuvrer en arrière. 

— Couvrez-nous !

Sans stopper la course de son cheval, Laerran hoche de la tête et se saisit aussitôt de son arc. Son allure soutenue ne faiblit pas et le voilà qui décoche ses flèches d'argent ; toutes atteignent leur but et dévient les trajectoires des lances. Torebok se défend aussi de sa hache, lorsque je tire à toute vitesse sur mes rênes et lui tends mon bras. Évidemment, je dois empoigner ses épaules à deux mains pour qu'il réussisse à monter sur Aimon et, au prix d'un grand effort de notre part à tous deux, il se cale derrière moi tout en usant de son arme au besoin pour bloquer les quelques projectiles auxquels ma jument ne peut échapper. 

Dame AerynOù les histoires vivent. Découvrez maintenant