Sur les steppes

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Il semblerait que je me sois assoupie dans ses bras et Laerran n'a pas bronché, s'asseyant contre un tronc. La nuit est passée et les rayons du soleil caressent mon visage. En ouvrant les yeux, je découvre son torse contre mon dos et me fige l'espace d'un battement de cils, puis je m'efforce de me redresser malgré les courbatures dues à une très mauvaise position, et je tombe sur le rictus sardonique de la jeune Veseryn. Elle se retient évidemment de rire, le poing sur sa bouche pour ne pas réveiller l'Elfe. Je lui lance un regard dissuasif qui fonctionne peu et avant que je n'ai pu me mettre sur pieds, elle s'est déjà volatilisée au campement. Et bien sûr, ses oreilles pointues ont perçu le moindre mouvement et ses yeux perçants sont d'ores et déjà ouverts, posés sur moi. Une hésitation s'y distingue, suivie rapidement par une ombre de tristesse en se rappelant de mon récit de la veille, et enfin un espoir nouveau qui se dégage net parmi tout le malheur et la malédiction qui plane sur sa famille. Nous nous scrutons un instant, sans un mot, ne sachant par quoi commencer après tout ce qui a été dit la veille. Contre toute attente, c'est lui qui brise le malaise en premier :

— Nous reparlerons de tout cela quand vous serez prête. Je suis patient et j'ai la vie devant moi. Alors, vous me raconterez combien ma mère était adulée de mon peuple et combien elle était douce et généreuse. 

— Ne voudrez-vous rien savoir sur votre père ?

Il ne pipe mot, mais l'air navré dans ses yeux me répond. Laerran comprend vite ; il a parfaitement saisi quel genre d'amour me reliait encore à son père, mais il ne désire pas le connaître, car son cœur chagriné est encore alourdi de toutes ces années où son Roi lui a tourné le dos et a méprisé ses talents dans l'unique but de le rejeter de sa vie – et cela parce qu'il ne tolérait pas la mort de sa femme et la ressemblance de ces deux êtres chers. Je ne le forcerai pas à voir Faerran de la même façon que moi. Il n'a jamais rencontré l'ami qu'il était pour moi, l'Elfe gentil et prévenant. Il s'est heurté à un mur de glace qui met trop de temps à fondre. J'arrangerai la situation entre eux. Du moins, je m'y essaierai. J'ignore si j'ai le droit de m'immiscer dans leur vie, si j'ai le droit de me présenter aux Arbres d'Argent et d'en gronder le monarque, tout comme Laith l'avait réprimandé lors de mes premières semaines là-bas. En tout cas, je ferai mon possible pour réparer ce qui fut rompu. 

— Réalisez votre prière matinale, lui dis-je. Pour ma part, je vais veiller à ce que Veseryn n'exagère pas ce qu'elle a surpris ici.

Il acquiesce, un rictus amusé aux lèvres, en se redressant vers le soleil, tandis que je grimace, fais rouler mes épaules pour les détendre et gagne le campement laissé hier soir. Le petit matin est déjà bien entamé et sûrement nos compagnons ont dû nous chercher, ou nous trouver plus tôt dans la nuit pendant leurs tours de garde. Ils patientent tranquillement ; Torebok s'empiffre de biscuits elfiques offerts par la cité au travers des mains de Merialeth, et Duran s'est adossé à un tronc exposé aux rayons dorés et profitant de leur chaleur. S'ils ont aperçu quelque chose au cours de leur ronde ou en se réveillant, ils ne commentent pas et m'adressent seulement un hochement de tête muet en guise de salutation. 

Cependant, Veseryn, elle, ne cache en rien son air moqueur et elle glousse dans son coin en grignotant une grappe de raison qu'elle a gardée en dernier des Jours Éternels, s'agissant de son fruit préféré. Le meilleur pour la fin, dit-elle. Je me réjouis que son humeur soit joyeuse et me contente de rouler des yeux en esquivant ses rictus railleurs. Je me munis d'une pomme et commence à la manger sans trop prêter attention à sa plaisanterie.

— Moi aussi, j'aurais bien aimé trouver l'amour pendant cette quête. Dommage que vous soyez tous si vieux. Au moins, j'ai le bébé pour me réconforter. 

— Tais-toi un peu et cesse de dire des bêtises.

Elle pouffe et je n'aurais pas renchéri sur ces mots si elle n'avait pas lâché un soupir soudain, sur un ton défait et triste : 

Dame AerynOù les histoires vivent. Découvrez maintenant