Lumière et Obscurité

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Je me courbe devant le Seigneur et prétexte une faiblesse dans les jambes du magicien pour l'entraîner avec moi à l'extérieur. Orist, qui se doute lui aussi de la présence du mal, joue le jeu et se poste face à lui, mimant des courbatures du voyage. Constantin jette un œil vers nos autres compagnons, confirmant en partie mes suspicions. Puisque nous les laissons derrière nous, il ne questionne pas ma parole et me fait signe de l'escorter dans sa chambre assignée pour qu'il s'y repose. Nous nous inclinons à nouveau et nous dirigeons droit vers l'escalier en colimaçon. Les gens s'écartent sur notre passage et malgré quelques murmures insistants, nous ne sommes pas arrêtés. Je croise le regard soucieux de l'Elfe. De nous tous, le Mage et moi serons davantage en sécurité hors de ce piège grossier qu'eux. Cependant, n'étions-nous pas censés dormir ici et partir à l'aube ? Tant que nous ne montrons pas un signe de fuite, ils n'auront pas de raison urgente de nous retenir par la force. Je lui adresse un imperceptible hochement de tête auquel il répond par un faible sourire. Laerran et les autres trouveront un moyen de s'éclipser vers la demeure du troisième régiment, et j'intercepterai Veseryn avant qu'elle n'atteigne le Palais des Servantes. Par la suite, j'ignore ce que nous ferons et comment nous le ferons.

La haute-cour s'est vidée. La plupart des citadins ne dorment pas, non. Je les sens. Ils errent dans la cité. Sûrement sont-ils descendus vers le pont-levis pour garder leur sortie et empêcher leurs invités de les quitter. Ou alors, ils attendent d'autres arrivants et cela m'inquiète davantage. Quelques soldats patrouillent dans les rues, et deux d'entre eux sont placés à la porte de leur quartier. Au lieu d'entrer là où nous risquons de ne pas ressortir, Orist se met à commenter les étoiles à voix haute, mimant un intérêt soudain pour une balade nocturne. Je le suis et nous marchons innocemment. 

Les gardes nous dévisagent, mais ne bronchent pas, guettant. Peu à peu, nos timbres ne s'élèvent plus, et nous parlons tout bas sans une expression sur les visages, convaincants dans notre mise en scène. Nous ne nous éloignons pas non plus de la Tour, ne voulant pas manquer nos compagnons.

— Que se passe-t-il pour que vous agissiez tous de cette façon ?

— Dites-moi d'abord ce que vous avez constaté, rétorqué-je.

— Le Seigneur Constantin porte le nom de Valeureux pour une raison. Il ne supporte pas les Mages Fous et il se bat contre eux depuis le tout premier jour. Il a lui-même proposé l'avènement d'un Roi des rois pour unir les peuples des Hommes. Pourquoi ? Pas par ambition. C'est moi qui lui ai soufflé cette solution. Il n'était pas favorable à cette idée, conscient qu'il avait peu de chance de finir à la tête d'un royaume unifié, pas avec la position délicate de ses terres. Pourtant, nous voici. Je le connais bien, ce Constantin. Son père écoutait tous mes conseils à la lettre, j'étais en quelque sorte son consultant dans la guerre des plaines centrales. Par mes nombreux avertissements, ce conflit a stagné longtemps. Les Remparts se considèrent les plus forts et méritants des Trois Royaumes, parce qu'ils se sont constitué bouclier des plaines face à l'Enclave Nord-Est. Ils sont également situés entre un territoire Elfe et un territoire Nain. Ils sont le barrage et les gardiens des plaines, de leur point de vue. Les Deux Couronnes, quant-à-eux, forment un peuple confiant et téméraire, mais calme et juste. Ils ne se battent qu'en cas d'attaques, en premier lieu. Ils aspirent à la paix. L'ancien Roi et l'ancienne Reine, non pas mariés, mais provenant de deux familles différentes, gouvernant main dans la main comme un frère et une sœur, sont des descendants de grandes lignées. Vous le savez, Dame Aeryn, à l'époque où la Couronne de Diamant devint les Deux Couronnes, ils créèrent un royaume sain, sur une base radicalement nouvelle, pour faire cesser les querelles internes entre leurs deux Maisons les plus imposantes. Il s'agit d'un peuple qui a toujours réclamé la paix. Enfin, les Rivières Blanches... 

Il soupire, lourdement, en se plongeant dans ses réflexions.

— Duran en vient.

— Oui. Ainsi, il vous l'a dit.

Dame AerynOù les histoires vivent. Découvrez maintenant