L'Autel de Révérence

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Merialeth prend congé un instant ; elle s'envole, libre et vive, entre les arbres ou sur leurs branches, gagnant en vitesse et en hauteur dans cette nature qui est la sienne. Torebok ne la quitte pas des yeux jusqu'à ce que sa tunique brune disparaisse. Elle est renvoyée à sa cité où les gardiens des bois ont conduit la jeune Veseryn. Le bébé pleurait, criait et attirait les animaux sur eux. Il sentait la pestilence des Mages Fous. Par conséquent, ils ont décidé de l'éloigner des frontières et puisque leur Capitaine les avait tous autorisés à entrer sur leur terre sacrée, l'héritier et sa porteuse, ils les ont présentés à leur Seigneur et Intendant. 

Maelan nous accompagne à l'intérieur de la Forêt, tout en veillant à ce que ses mystères demeurent inconnus des étrangers. Je sais ce que les Sylvains dissimulent là-bas, j'ai tout vu des Jours Éternels. Leur Grand Arbre vénéré au cœur de la cité, un chêne de largeur et d'épaisseur considérables, impressionnantes même, où l'Eau Pure ruisselle sur ses feuillages dorés en une calme cascade, qui rejoint le Fleuve Creux, en un cours régulier et couleur de l'écume, un bleu azuré transparent. Évoluent à travers les âges, tous les autres troncs, fins et robustes, plus doux que du velours, et leurs feuilles longues et légères, satinées. Leurs domaines, qu'ils ont construits en forme de tour avec du verre étincelant adoptant parfois des teintes blanches argiles et parfois d'un vert profond, ainsi qu'un bois incassable, une protection sacrifiée et offerte aux Elfes par la Forêt elle-même, que la meilleure hache des Nains ne pourrait briser, que le plus cruel des feux ne pourrait abîmer, ces domaines-là accueillent des dizaines de Sylvains et de ces domaines-là résonnent les chants rudes et harmonieux de leur clan, remplis de conviction et de fierté, ou de lamentations et de chagrin selon leur humeur. Le Seigneur Kailu, en tant qu'Intendant et Prince, réside avec ses pairs – son épouse avec qui il n'a pas d'héritier, ses trois oncles et leurs femmes avec qui il entretient une relation très proche de parents aimants, et quatre gens de son escorte à qui il porte un grand amour, car ils lui ont été fidèles dès les premières heures de son intendance et bien avant. Se perpétuent leurs nombreux rituels et habitudes qu'ils préservent soigneusement. Je pense notamment à leur rassemblement nocturne, à la tombée de la nuit, autour du feu et se remémorant une fois par mois les histoires passées de leur peuple ; ou à leur réveil très matinal, à l'aube, où ils filent au soleil levant pour gambader avec les biches et faire la course avec les oiseaux dans les branches ; ou leur réunion tous les ans face à la Grande Mer de l'Est, durant lequel ils migrent tous pour une nuit vers les rivages et ils prient et chantent et dansent en l'honneur des vagues et de la mousse, des mouettes et des murmures venant des va-et-vient de l'eau ; ou, encore mieux gardés, leurs routines quotidiennes, leurs entraînements fastidieux à la chasse et à la pêche consistant à l'apprentissage de techniques bienveillantes envers les animaux, au maniement de l'arc et de l'épée, la saveur de leurs fruits, les naissances des enfants, des plantes et des créatures qui peuplent les environs, le parfum de leurs fleurs, les répartitions des tâches minutieuses et leur façon de vivre en symbiose avec la terre, l'air et le ciel, tout simplement. 

Nous atteignons rapidement le sentier de Cadroth, l'Autel de la Révérence, sur lequel Maelan ordonne une halte. Sa seconde doit nous y retrouver et nous patientons donc. Tandis que le Capitaine lorgne sur le Nain et sa hache, lui défendant de faire le moindre geste qui agacerait la Forêt, je m'écarte du groupe et me dirige d'instinct vers le mausolée de Cadroth, un somptueux monument pris entre deux larges troncs anthracites. La pierre, semblable à la nuance grise des arbres, est gravée de plusieurs noms, une demi-douzaine. Les Seigneurs et Dames sylvestres qui se sont établis ici et y ont vécus depuis. 

J'y pénètre avec une grande humilité et tombe à genoux sur la pierre froide, les mains posées sur le haut de mes cuisses et le buste penché en avant. La position classique de prière chez les Sylvains. Je rends mes hommages à ces nobles fondateurs des Jours Éternels et psalmodie un chant dont je me souviens bien. Lorsque j'en ressors, mes yeux sont attirés par une nouvelle statue qui n'existait pas à l'époque. Ces bois en contiennent des dizaines et elles représentent toutes un illustre Sylvain qui s'est démarqué dans leur communauté soit par son savoir, soit son talent ou par ses contributions. La plus belle d'entre toutes se nomme Aravae. Elle dépasse les autres en taille et en somptuosité. Aravae se traduit par la Pure, une des appellations elfiques de la nature. Cadroth et son Autel servent aux Elfes sylvestres à communier avec leur protectrice et à ne jamais oublier ceux qui ont péris pour elle.  

Dame AerynOù les histoires vivent. Découvrez maintenant