Les adieux sont teintés d'un voile obscur qui plane et pèsera longuement sur la troupe. Torebok s'est tenu dos à la Forêt au prix d'un grand effort, mais le mal-être ne résultait pas de son départ des Jours Éternels, non, mais des yeux vifs et luisants d'espoir de Merialeth qui, repoussant sa déception, s'est aussitôt forgée une attitude rigide et neutre, pour la forme. Elle refoule mal son anxiété quant au dénouement potentiellement funeste et tragique de notre périple et tous les deux souffrent peut-être d'ultimes au revoir. Si ces quelques paroles et regards échangés devaient être les derniers, le destin serait bien injustice envers eux.
Aussi, je n'avais pas anticipé combien la séparation avec la Forêt en coûterait à Duran ; il est voûté sur son cheval et le dirige sans vraiment poser le regard devant lui. Veseryn s'accroche fermement à lui et elle zieute sur la majestueuse monture de Laerran. En voyant le bébé dormir dans le calme, elle s'évertue à se tempérer elle-même, n'étant a priori pas friande des balades équestres. L'animal flaire le désarroi et l'appréhension respectifs de ses cavaliers, et ses sabots tapent durement la terre ou il hennit tout à coup, ce qui ne les rassure pas.
Laerran est blasé, semble-t-il. Sûrement a-t-il l'habitude de voyager d'une Forêt à l'autre, en tant que Prince de ce royaume. Le plus perturbant, pour ma part, fut assurément le sourire bienveillant de Maelan à notre éloignement. Il ne s'est pas ému, ni ne s'est démontré apeuré par l'incertitude de notre ère. Il a confiance en ce monde et n'envisage pas de le voir sombrer pour de bon. Son optimisme m'inspire, mais je suis incapable de le répliquer.
Nous ne galopons pas, attentifs au confort de l'enfant, mais nos montures ne connaissent pas de repos, infatigables, et elles couvrent un terrain trois fois plus grand que nous l'aurions fait à pied. Nous prenons peu de pauses et la plupart sont exigées par Torebok qui haït plus que tout ces bestioles à poils qui sentent mauvais – je cite ses termes. Laerran, dont la région ne recèle plus de secrets pour lui, nous avertit dès qu'une terre boisée se trouve à proximité pour s'y arrêter et dissimuler les chevaux sous les arbres, ou s'il juge qu'un danger pourrait sommeiller dans les environs. Hormis les grognements ronchons du Nain et un commentaire de Veseryn, nous ne communiquons pas, à l'affût.
— Au fait, Dame Aeryn, avec le trépas du magicien et tout le reste, nous ne nous sommes pas enquis de votre blessure.
Je médite jusqu'à ce que nous arrivions à un sous-bois pour le souper, une poignée de secondes. Des heures se sont écoulées, la Forêt est loin derrière nous, et je ne me remémore pas tout de suite la blessure à laquelle elle fait référence.
— Oh, la plaie de l'Invisible, oui, c'est vrai, bredouillé-je. Elle était presque guérie aux Anciens Remparts. Elle ne m'a guère préoccupée, par chance.
Veseryn hoche de la tête, soupçonnant une atténuation ou un léger mensonge, mais je hausse les épaules, clôturant le sujet. Nous dînons promptement, bien décidés à dormir, tout en prenant des tours de garde les uns après les autres. Je suis volontaire pour le premier et pareillement à la dernière fois où nous avons mis en place une surveillance de nuit, je récupère celui de la jeune fille à qui je ne dis rien afin qu'elle ne s'en agace pas. Les jambes engourdies par la journée sur selle, je marche au hasard dans le sous-bois, m'attardant au niveau des chevaux que je caresse avec affection. Aimon se frotte à mon bras, m'incitant à faire durer les cajoleries.
Dans mon dos, je pressens l'approche de l'Elfe et ne pipe mot. Il se promène sous les arbres, en fin de compte touché par son éloignement avec la Forêt dont il s'émerveille à chaque visite. Comment faire autrement ? Quiconque part des Jours Éternels se retrouve propulsé dans la tourmente, et l'envie tenace de les rejoindre le plus tôt possible. Il n'échappe pas à la règle et se lamente. Par automatisme, un chant tout bas résonne autour de nous deux, si bas que je dois tendre l'oreille. Il s'agit d'une mélodie pleine de passion et de dévotion pour Avarae la Pure, mélangée avec une certaine mélancolie due à la distance mentionnée par le poète. Il finit les derniers vers et s'intéresse aux chevaux. Il s'ennuie, ou il ne peut pas dormir.
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Dame Aeryn
FantasíaLe crépuscule d'une ère menace tous les peuples encore libres, les ténèbres s'étendent sur toutes les terres souveraines et le monde tel qu'il est connu s'apprête à chavirer dans l'Obscurité, sous le joug des Mages Fous, les Maîtres absolus de la ma...