Dame Aeryn

Vers le Sud

En revenant près de nos compagnons, seules les voix de Duran et de Veseryn brisent le silence ambiant. Elle raconte, sans vraiment dire quoi que ce soit, combien la cité des Sylvains l'a émerveillée. Que je la comprends. Et que je comprends son désir d'en parler à tout-va. Mais ils lui ont fait promettre de taire tout ce qu'elle avait vu et par conséquent, elle s'exprime par énigme. Dès qu'elle débute une phrase, les épaules des deux gardes se tendent, prêts à lui couvrir la bouche si elle s'étend un peu trop. Ils ne la regardent pas et écoutent, donc ils ne voient pas son rictus narquois. Elle les taquine à sa façon, je suppose. 

Merialeth marche souplement autour de ce petit campement. Elle évite avec soin le regard du Nain qui s'enhardit parfois à l'admirer à la dérobée. Il a l'air heureux et malheureux ; une joie et un ravissement indiscutables à la rencontrer de nouveau, mais une peine grandissante à cette barrière tacite entre eux. Je ne doute pas une seconde qu'elle est cette femme pour qui il se bat. Torebok n'a pas menti ou exagéré. Son amour transperce son être, il est évident. Si elle possède les mêmes sentiments en retour, de cela je ne suis pas sûre, et lui non plus à en juger par son air tout penaud. 

Devrait-il lancer un sujet de conversation avec elle, n'importe lequel ? Mais quoi lui dire ? Comment s'adresser à elle ? Serait-elle offusquée ? Veut-elle, tout simplement, entretenir la moindre discussion avec lui ? Toutes ces questions tournent en boucle dans son esprit et quand Maelan et moi arrivons auprès d'eux, nous ne l'aidons pas car la garde se désintéresse tout de suite de son observation de la Forêt pour se poster au côté de son Capitaine. Celui-ci s'accroupit devant une besace qui provient de la cité et en sort une large carte exposée sur du fin papier qu'il manie avec précaution. Il la pose au sol et réfléchit un peu avant de conclure :

— Peu importe la route que vous choisissez, vous êtes condamnés à croiser des Mages Fous sur votre passage. 

Laerran, qui se promenait à l'écart, se rapproche et s'agenouille à son tour, observant sans un mot la carte. 

— Pourquoi ne pas emprunter la Grande Mer de l'Est ? s'enquiert Duran. D'un point de vue objectif, ce serait la voie la plus sécurisée. Vous nous escorteriez jusqu'au rivage et vous nous prêteriez un bateau sur lequel nous naviguerions tout au Sud, par-delà les royaumes annexés des Mages Fous, puis nous nous arrêterions juste avant les Montagnes Inexplorées du Sud et nous nous réfugierions au Repère de Lune, chez vos parents, Laerran. De là, nous franchirions les quelques sommets et atteindrions le Royaume des Hommes. 

Contre toute attente, j'intercepte un regard méfiant de Maelan sur notre compagnon. Je ne saisis pas sa raison. Meria lâche quant à elle un ricanement, loin de se moquer. Elle marque ainsi son amertume à la perspective qui échappe à l'Homme. Duran ne s'en formalise pas. Il ne s'attendait pas à une hospitalité grandiose de la part des Sylvains. C'est à Laerran d'établir une vérité absolue :

— Nous ne pouvons nous rendre au sud des Jours Éternels et nous aventurer par l'est, ni par le centre. Par l'est, nous devrions contourner les terres annexées. Trop de risques inutiles. Ne considérons pas cette solution. Par le centre, nous frôlerions de près l'un des royaumes annexés...et la Source. 

Sa voix tombe dans une noirceur répugnée. 

— Des Mages Fous, récemment engendrés par le pouvoir de la Source, sont deux fois plus dangereux et imprévisibles que des êtres corrompus depuis longtemps et qui auraient appris à se contrôler. Il nous faut éviter la Source, à tout prix. 

Maelan ponctue chaque phrase de son Prince pour un hochement de tête approbateur. Néanmoins, le Nain ne semble pas tout à fait d'accord.

— Tout en restant loin de la Source, nous ne devrions pas renoncer au centre. Après tout, la Grande Région des Elfes de Lumière se trouve à proximité du Fleuve Creux. Ensuite, nous pourrions descendre par le Royaume des Arbres d'Argent, tout proche de vos cousins, et cela nous permettrait d'esquiver la Source. Enfin, nous traversons le Fleuve Agité, nous nous glissons au Bois Endormi des Sylvains et au Royaume du Sud.