Dame Aeryn

Le Gardien de la Forêt

Je doute que les Nains aient réussi à creuser un tunnel sous le territoire des Elfes, et surtout à créer une ouverture secrète. Par ailleurs, les deux messagers envoyés par le Seigneur Themmig ont emprunté, pour le premier, leurs souterrains jusqu'à Iovannen où le Seigneur Eldaer lui a fait grâce de sa bienveillance et de son hospitalité, et, pour le second, il a dû quitter les cavernes dans la nuit et se faufiler vers la région elfique, s'attirant les foudres des sentinelles avec qui il a pu échanger quelques froides paroles. Aucune porte n'a été autorisée entre le Mont de Fer Rouge et la Forêt des Jours Éternels, ni par le passé, ni par les temps présents. 

L'Elfe a offert son opinion en tant que connaisseur en la matière ; il suggère de partir par la porte au sud-ouest, de rejoindre le Fleuve Creux, le traverser et errer dans les bois dans l'attente que les sentinelles nous encerclent. Il déconseille fortement de franchir la Forêt de bout en bout ou de pénétrer dans la cité des Sylvains. Ce clan de guerriers ne plaisante pas avec leurs règles qu'ils appliquent autant aux ennemis qu'aux amis. Il sait le chemin à parcourir, il ne s'égarerait pas et nous guiderait aisément, mais il préfère ne pas le faire et s'enquérir auprès des siens d'un éventuel droit de traverser. 

Torebok s'agite quelque peu, une certaine nervosité le saisit. Parce qu'il doit laisser derrière lui son peuple et le confort des cavernes ou parce qu'il rechigne à voir les Elfes et s'incliner face à leurs règles ? Peut-être les deux à la fois. Il rassemble ses affaires en des mouvements secs, regarde sa hache avec insistance et toussote, se racle la gorge dès que nous mentionnons la cité des Sylvains.

— Il est possible que l'histoire de votre peuple m'échappe, marmonne Veseryn, mais n'êtes-vous pas leur Prince ? Le Prince des Sylvains et des Elfes de Lune ? Ils ne rejetteraient pas un ordre direct de leur Prince, tout de même ?

— Au contraire, ils le feraient. La voix du Roi surpasse la mienne et même lui plie à la loi des Sylvains. Depuis notre union, le Roi n'a jamais rencontré le Seigneur sur le sol des Jours Éternels. L'accès est très restreint. Ces défenses ont sauvegardé leur territoire de la ruine. Et puis, je ne voyage pas seul.

Il lance une œillade au Nain qui se rembrunit un peu plus.

— Vous avez raison, conclus-je. Mieux vaut respecter les Sylvains et leurs règles. 

— Font-ils si peur que les légendes le racontent ?

Veseryn positionne délicatement le bébé dans un sac rembourré où de petites déchirures ont été faites pour y placer ses minuscules jambes potelées. De quoi le transporter avec plus d'aisance et de confort pour tous les deux. Dès qu'elle enfile les bretelles, un sourire ravi se plaque sur ses lèvres. Ses bras sont soulagés de son fardeau constant. Le voyage sera moins contraignant pour elle. Un cadeau des Nains. 

La question semble réellement l'intriguer. Après tout, les Elfes Sylvains ont mauvaise réputation chez les Hommes, et encore plus chez les Nains. Ces derniers subissent davantage leur arrogance et dédain naturels envers leur peuple. Tout en grâce et en sagesse, ce clan-là n'hésite pas à faire preuve de dureté et de sévérité quand ils le jugent nécessaire. Qui plus est, ils ne tiennent pas en place, enfermés entre des murs, dans un palais toute la journée. Ils vivent sous les arbres et se sont établis en villages qui, mis ensemble, forment leur vaste cité. Ils apprécient les activités en extérieur, telles que la chasse aux animaux, la pêche aux poissons et la traque aux créatures indésirées. Ils ont protégé de mains de fer leurs territoires, en particulier la Forêt des Jours Éternels, dite l'Imprenable ou l'Immortelle parmi les invulnérables. Il est vrai que les êtres de Lumière ou de Lune sont surtout ancrés dans leurs traditions, leur amour pour le ciel, que ce soit le soleil ou l'astre argenté ; les premiers disposent de la magie première et primaire, et les autres tirent leur force des étoiles qui les abritent du mal. Leurs usages contrastent complètement avec les guerriers sylvestres.