Un silence de plomb est entrecoupé par les respirations essoufflées de chaque membre de la troupe. Un feu s'enflamme d'un coup, exposant un étroit tunnel qui mène je ne sais où. Duran tient une torche et son regard se durcit à la seconde où il se rend compte qu'un des nôtres manque à l'appel. L'Elfe ne dit rien. Absolument rien. Il se contente de me fixer, l'air triste et alarmé. Torebok perd son sourire en pestant et il retourne vers l'entrée secrète. Il s'apprête à la rouvrir, mais Laerran pose une main solennelle sur son épaule.
— Dame Aeryn, chuchote Duran, comprenant ce qu'il s'est passé, où est Orist ? Vous êtes sortis de la Tour ensemble. Nous n'avons pas réussi à vous retrouver lors de notre propre fuite. Avez-vous été séparés ?
De la pire façon qui soit, oui. J'aimerais lui offrir des fleurs. Il en raffolait. Toutes les sortes, toutes les couleurs, toutes les senteurs. À ma connaissance, il a vécu une cinquantaine d'années dans une maisonnette dans le Nord, sur les terres des Ondins qui l'accueillaient avec plaisir. Il cultivait ses légumes et regardait amoureusement ses plantes grandir et s'épanouir. Il serait heureux que son tombeau en soit recouvert.
— Orist Norfir n'est plus. Le Maître de la Manipulation de l'Âme nous a privés de notre guide.
Un guide ? Pourquoi réduire le rôle d'Orist à celui de guide ? Des chrysanthèmes seraient un choix logique, mais attendu et trop formel. Il préférerait une fleur plus à son goût, avec une signification peut-être moins déprimante. La jonquille ne représente-t-elle pas l'amitié ? Avec elle, je témoignerais de toute mon estime pour lui, et de la confiance que je lui vouais. La pensée accompagnerait bien dans un beau bouquet. Puisque j'ai échoué à lui montrer ma loyauté dans la vie, je suppose qu'elle lui jurerait fidélité dans la mort. Elle lui rappellerait pour toujours le tendre amour que nous avons longtemps partagé. Je compléterais avec des lys, ses favorites.
J'ignore à quel moment mes jambes se sont activées et mises en marche. Parfois, je remonte à la surface de mes méditations, des bribes de mon environnement direct me parviennent. Je vois de la roche, partout, illuminée par une douce teinte dorée, les flammes de la torche nous réchauffent et nos habits se sèchent petit à petit, mais les cœurs demeurent froids. Des pleurs retentissent. Par réflexe, j'essuie mes joues, mais elles ne sont pas humides. Ce sont les sanglots déchirants de Veseryn qui plongent la troupe dans un chagrin pénible. Inutile de m'observer dans un miroir pour déterminer que j'arbore une mine affreuse. Je dois être contusionnée sur tout le corps, un air de chien mouillé, sale, dans une robe horrible, et surtout les traits abattus, des yeux sombres et découragés, anéantie, éteinte.
— Voudriez-vous connaître notre direction ? s'enquiert Torebok, en se raclant la gorge, d'un ton malheureux. Ou comment nous avons réussi à nous échapper de la Tour ?
Les échos de sa propre voix lui répondent. Duran et lui se jettent une œillade soucieuse. Les éclats accablés de Veseryn s'élèvent de plus en plus, et elle en vient à trébucher, se tordre la cheville. L'Elfe la rattrape vite et la remet sur ses jambes, mais elle s'effondre, accroupie, prostrée. Je note que l'enfant a changé de bras, gardé par l'Homme. Ce dernier s'agenouille face à elle et lui tapote le dos dans l'espoir de l'apaiser. Le bébé commence à chouiner à son tour. Je contemple ces créatures avec pitié.
Pitié... Je frissonne de dégoût et me désintéresse rapidement de la jeune fille. Duran confie l'enfant à l'Elfe afin de l'enlacer, autant pour la réconforter que pour la relever. Il lui chuchote des paroles pleines de délicatesse et la dureté de son visage semble s'être fendue à l'annonce de notre perte. Il n'apparaît plus sévère, mais affligé. Je ne sais quelle relation il entretenait avec le magicien, s'il le considérait comme un conseiller ou un guide, ou si leur lien était plus fort. Je sais en revanche qu'il n'affiche plus une once de sa condescendance naturelle d'Homme, ni son austérité habituelle.
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Dame Aeryn
FantasyLe crépuscule d'une ère menace tous les peuples encore libres, les ténèbres s'étendent sur toutes les terres souveraines et le monde tel qu'il est connu s'apprête à chavirer dans l'Obscurité, sous le joug des Mages Fous, les Maîtres absolus de la ma...