Les Cris d'Agonie

27 1 0
                                    

Je réémerge au bruit tonitruant d'une porte grinçante, de mon corps balancé vulgairement au sol et de ces barreaux de fer qui se referment en fracas. Utile de me poser trop de questions. Nous sommes arrivés à Rae Shakhar, les sauvages m'ont enfermée dans une cellule protégée par des sorts de conjuration, repoussant mes pouvoirs en mon for intérieur, ce qui me permet de me maintenir à la surface sans fournir trop d'effort. Au loin, des hurlements s'entrechoquent en échos dans toute l'immense prison. Il s'agit d'une vaste étendue de terre dévastée et noircie et souillée par l'Obscurité, où trône sous la forme d'un anneau géant une cité de malheur remplie de geôles en tout genre et en son centre une haute tour s'élève jusqu'au ciel et disparaît dans les nuages, là où siège Asemo Mallor et où il garde ses plus précieux captifs à sa disposition. La plupart du temps, ce sont en réalité les plus forts de corps et les plus faibles d'âme qu'il conserve près de lui, car il peut s'amuser plus longtemps avec eux, les faire pleurer et supplier avant que leur être charnel ne cède pour de bon à sa tyrannie. Ne pensez pas que cet homme soit atteint de folie. Il pratique la cruauté de ses semblables, mais il ne la laisse pas le dévorer et dicter ses agissements. Son intelligence et son entendement du monde dépassent largement ceux de la majorité des Mages Fous, à l'exception des Huit qui le dominent. 

Bien que je ne résiste plus contre ma magie, je ne réussis pas à me sortir de ma léthargie et je contemple la noirceur sous mes paupières avec cette même impuissance qui commence sérieusement à m'agacer. Je déteste avoir la pleine possession de mes pensées et de mes sens, mais d'être incapable d'ouvrir les yeux ou de me mouvoir. 

Par chance, mes compagnons sont confinés à proximité. Torebok s'enhardit à taper contre les barreaux et en appeler ou injurier le Seigneur maléfique de ces lieux, mais il s'arrête vite en ne recevant aucune réponse. À cette heure, le Maître de l'Air s'entretient sûrement avec Asemo et celui-ci ne tardera pas à prendre contact avec les Huit. J'essaie désespérément de contrôler mon corps, de m'éveiller et de me relever ; ce n'est qu'en découvrant mon environnement et en conversant avec les autres que nous pourrons peut-être trouver un moyen de nous enfuir, ou au moins de rallumer la flamme éteinte de nos espérances. Bloquée par ma propre faiblesse, j'écoute, puisque je ne peux rien faire d'autre. 

— Que ce bébé se taise, souffle Duran, à bout de nerfs.

— Vous pleureriez également, rétorque Veseryn, si vous n'aviez pas autant de fierté.

Sa langue claque, et les pleurs du bébé tressautent. Elle cherche à le bercer, à l'apaiser, de peur que Duran s'énerve contre lui. Pourtant, l'Homme ne perdrait pas à ce point la maîtrise de lui-même, pas en se défoulant sur un enfant innocent. Il inspire profondément et fait tout pour se calmer. Je suis surprise par le timbre colérique de Veseryn. Ils sont tous à la limite d'un gouffre sans fin, partagés entre la témérité ou la panique. Quelque chose s'affaisse avec lourdeur au sol, Torebok s'est assis. 

Puis, tout à coup, Veseryn hoquette, s'attirant le regard des deux sur elle – du moins, je l'imagine.

— Regardez ! Ses yeux s'ouvrent !

Un instant, j'espère qu'elle parle de moi, mais, la seconde suivante, mon cœur loupe un battement en songeant à Laerran. Je reconnais des froissements de tissus sur la roche dure et rêche ; ils se sont réunis autour de lui. Je tends l'oreille et ignore superbement mon éreintement. L'impatience me gagne sous leur silence contemplatif. Et une faible toux résonne contre les parois de la tour. Par toutes les étoiles de ce monde, il est béni des cieux ! J'en verserai presque une larme. En fait, je ressens une humidité sur ma joue.

— Aeryn...

Cette humidité s'intensifie en entendant le délicat son de sa voix. Que ce soit le soleil, la nature ou les étoiles, toutes les forces du monde veillent sur lui. Je suis submergée de joie et de soulagement, d'autant plus avide de percevoir son timbre rendu sombre et éraillé par les blessures effacées.

Dame AerynOù les histoires vivent. Découvrez maintenant