Dans la nuit

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Nous quittons le Marais Gris sans nouvelle attaque. Le mal à l'œuvre s'est prédit vainqueur, mais il n'avait anticipé la traversée de six individus tout à fait déterminés à accomplir leur tâche. 

Nous rejoignons Duran, qui veille sur les enfants, à l'affût, la lame dressée en guise de découragement à quiconque se risquerait à approcher. S'il ressent la lourdeur dans les corps de chacun, il ne fait aucun commentaire et indique plutôt un sous-bois peu étendu où nous pourrions passer la nuit à l'abri des arbres. 

Orist ne le montre pas, mais combattre la magie noire l'a épuisé. Après tout, ses pouvoirs sont nés avec les mêmes ambitions sombres que ceux des Mages Fous et il vient de repousser sa propre nature. Il lui faut du repos, à lui et à tous les autres. 

Nous trottinons vers le sous-bois sous le soleil couchant, bien heureux de mettre de la distance entre nous et le Marais Gris. À bien y repenser, je comprends mieux pourquoi il est appelé de cette façon ; tout donnait l'impression de baigner dans la fadeur, dans la grisaille des jours sombres et sans joie. 

Torebok s'attelle immédiatement à la confection du feu. Duran et lui se concertent, n'échangeant aucun mot, pour ramasser des brindilles ci et là. L'Homme redonne le bébé à Veseryn qui se tient étonnamment silencieuse. L'enfant gémit encore, de faim cette fois. Elle fouille dans son sac à dos et commence à le nourrir. 

Orist s'avachit contre un tronc, ses paupières papillonnent et menacent de l'emporter dans un profond sommeil. Il possédait davantage de rigueur à une époque. Les années ont été impitoyables sur lui.

— Mes yeux se sont habitués à la pénombre, dit Laerran. Je m'en vais chasser, les proies ne pourront se cacher dans la nuit. Au moindre soupçon, criez. 

Personne ne lui répond. Le mage dort presque déjà et je suis fixée sur Veseryn. Elle s'occupe de ce bébé avec la tendresse d'une mère, malgré son jeune âge. Son affection pour le nourrisson dépasse mon entendement. Cependant, la tourmente pèse sur elle. Je n'en identifie pas tout de suite la cause. Soudain, elle décide de jouer avec l'héritier, elle fait glisser son doigt sous le minuscule nez, elle sourit de toutes ses dents et ses cheveux forment une barrière tout autour de lui. Cela, plus que toutes ses autres tentatives, le divertit beaucoup et il rigole, essayant de s'en emparer. 

Là, elle se satisfait de sa réaction et recommence à le nourrir, l'expression de nouveau maussade. Veseryn s'est assurée que l'enfant soit encore capable de rire. Nous sommes cinq adultes, pourtant nous n'avons pas songé à vérifier l'état du bébé avant toute autre chose. L'Elfe n'a pas manqué une miette de cette scène. Cela nous rassure tous deux. Pendant que nous serons concentrés sur la survie de la troupe et sur les objectifs de notre quête, l'orpheline se chargera du bien-être de l'héritier. 

— Accompagnez-le. 

L'unique et dernier ordre d'Orist avant qu'il ne s'assoupisse. Nul besoin d'avoir suivi son regard fatigué pour déduire qu'il s'adressait à moi. L'Elfe ne questionne pas cette directive, même s'il ne la comprend pas vraiment. En me levant, je perçois les pas de l'Homme et du Nain tout proche. Tant mieux, je n'aurais pas aimé laisser Veseryn sans protection. 

Je passe devant l'Elfe et il m'emboîte le pas, muet et calme. Le sous-bois ne s'étend ni en largeur, ni en longueur, mais tous les volatiles ayant fui le Marais Gris et le Bosquet des Saules se sont retrouvés ici. Nous devrions rapporter de quoi remplir nos estomacs pour un bout de temps. Une opportunité se présente vite. Mes yeux s'accrochent à cet oiseau et je tire un poignard de son attache, accrochée à l'extérieur de ma cuisse. Sans attendre, je le lance. 

Par malchance, l'archer avait, sans un bruit, bandé son arc et sa flèche ricoche contre ma lame. Le choc nous surprend et nous nous regardons bêtement ; il courbe l'échine et je lève les mains, deux signes d'excuse. Je lui montre le côté gauche du sous-bois et il acquiesce à mon intention. Mieux vaut ne pas chasser dans la même zone. Je remonte un peu, me munis de mon second poignard et débusque un bel oiseau débordant de gras et de plumes, bien dodu. Je cueille même une poire, la seule qui soit mûre. Je parie qu'elle est juteuse. Cela remontera le moral de Veseryn. 

Dame AerynOù les histoires vivent. Découvrez maintenant