Le feu se rallume

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L'espoir, n'est-ce pas une notion étrange ? Qu'importe la race, tant que l'âme n'est pas corrompue et entraînée dans l'Obscurité, ses flammes ardentes subsistent en chacun de nous. L'on s'y raccroche en temps troublé et l'on s'appuie sur lui pour remonter les pentes les plus ardues. Et devant les épreuves pénibles, cruelles ou mortelles du destin, il nous permet de préserver une infime part de Lumière en nous, et si petite soit-elle, nous survivons grâce à son pouvoir infiniment grand. Du plus ridicule et pitoyable des feux peut s'embraser tout un incendie brûlant et indomptable, gare à ceux qui s'opposeraient à une personne guidée par son seul espoir, car, dans son esprit, elle n'aura plus rien à perdre et tout à donner.

J'use de tout ce qui reste en moi, présentement. La moindre parcelle d'énergie, la moindre motivation, le moindre espoir. Toute ma concentration se dirige sur mon visage, bien décidée à soulever mes paupières. Surtout, je maintiens un contact constant avec mes compagnons, me stimulant à la voix optimiste de Torebok qui, le dernier à dépérir au cœur de Rae Shakhar, probablement porté vers la Lumière par sa raison d'être, Merialeth, parle en continu pour remotiver la troupe, bien qu'ils réagissent peu et ne semblent pas enclin à voir les bons côtés de leur captivité, s'il y en a. 

— Oh un souvenir me revient ! Écoutez cela, Prince des Elfes, l'histoire devrait vous intéresser, se hâte-t-il en constatant le désespoir brutal dans lequel Laerran s'enfonce de plus en plus à chaque minute. J'ai visité votre royaume. Les Arbres d'Argent, quel nom bien choisi. Vos troncs et vos racines luisent d'un pâle éclat gris, et marcher sous vos feuillages ressemble à une promenade sous les étoiles. Celles-ci filtrent entre les frondaisons et brillent d'une lueur encore plus éthérée. Et pourtant, il ne s'agit pas des plus belles choses que j'ai observées dans votre royaume. 

— Laissez-moi deviner. Vous en avez profité pour admirer quelques dames Elfes ? 

La raillerie de Veseryn, à moitié endormie par la tension et la peur, arrache un rire exagéré au Nain. Pendant qu'il se démène pour attirer l'attention de Laerran, moi je parviens à remuer tous les doigts de ma main gauche et mes paupières vibrent, prêtes à céder. Les ténèbres se dissipent en mon esprit. Je touche du but.

— Les femmes Elfes, certes, ne subiraient aucune critique de ma part, même si elles m'intéressent peu, sauf une, l'exception. Non, je songe à la cité où j'ai logé. De toute beauté, vraiment. Ces Elfes-là détestent par-dessus tout les cavernes et les souterrains. Ils ne s'enfermeraient pas sous de hautes et profondes bâtisses, mais se tourneraient vers le ciel en toute heure de la journée ou de la nuit. C'est pourquoi leur cité ne forme qu'une avec la voûte céleste, ouverte sur les étoiles et la lune, délimitée par d'immenses piliers, à l'écart des arbres, bien cachée au milieu des arbres et à l'abri de tout danger. L'on dirait des ruines, et pourtant ils l'ont voulue ainsi. Ils vivent par centaines, répartis sur différentes cités, des plus modestes ou plu imposantes, et toutes resplendissent d'un charme similaire. Je mentirais si je niais le savoir-faire des Elfes. Bien sûr, je préférerais toujours mes mines chéries et mes larges cavernes, mais, je l'admets, j'ai été impressionné lors de mon séjour. Et quand je mentionne un séjour, une visite et la cité où j'ai logé, je devrais en fait préciser qu'il s'agit de l'endroit où ces maudits oreilles pointues m'ont amené après m'avoir enlevé dans les bois à proximité. Soi-disant que j'avais des airs de lutins ou de sauvageons des plaines. Foutaises ! Le Roi sur son trône d'argent a seulement ordonné l'arrestation immédiate de tous les scélérats et les malheureux qui rôdent autour de leur territoire.

— Et que faisiez-vous si près de ce royaume ? Si je me rappelle bien la carte, il n'existe aucun royaume Nain à proximité des Arbres d'Argent.

Au soupir de Torebok et à son raclement de gorge gêné, j'entraperçois une faible luminosité, dorée, qui provient des torches enflammées. Mon palpitant manque un battement, tout excité et des plus déterminés à réitérer cette action. Mes paupières papillonnent un moment sans que je ne puisse les garder suffisamment ouvertes pour y voir clair. Le Nain ne répond pas tout de suite à Duran, dont la voix témoigne d'une lassitude identique à celle de nos compagnons. Il faut renouveler leur espoir. 

Dame AerynOù les histoires vivent. Découvrez maintenant