Le siège

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Le reste du plan se déroule ainsi que nous l'avions prévu. Tout paraît trop facile, d'ailleurs. Sur les cinq Mages Fous, nous en avons éliminé trois et les deux autres doivent attendre de pied ferme leurs acolytes, ou bien sont d'ores et déjà en chemin vers les Bois Endormis. Nous le découvrirons bientôt. Le Maître de la Conjuration ne nous causera pas grands soucis, puisque son pouvoir réside dans son aptitude à annuler ou renverser un sort ; je ne suis absolument plus en état d'utiliser ma magie pour l'instant et de toute façon, je la garderai pour la suite de notre progression, quand nous nous confronterons au siège. Quant au Maître de l'Invocation, nous nous battrons à quatre contre lui. À moins qu'il ne possède un talent hors norme et une magie invincible, nous atteindrons vite les sauvages qui menacent la forteresse. 

Notre principal problème réside en ma capacité à me relever après avoir déployé une telle quantité de sortilèges protecteurs. En toute franchise, les conseils de Laerran n'ont guère été vains. Compréhensifs, la troupe m'a octroyé tout le temps nécessaire pour que je me repose et reprenne mes forces. Veseryn s'est assise à côté de moi, elle a observé le soleil dans le ciel azur et elle a écouté le chant des oiseaux, offrant une compagnie silencieuse et souriante. 

Mes pensées se sont peintes des souvenirs des Jours Éternels, de Iovannen, du royaume de Faerran et à chaque fois que j'ai voyagé d'une terre à l'autre, j'ai revu toutes les personnes qui ont un jour comptées. Maelandroth, son arc en bois brun, son allure rigide, ses regards calmes et tranchants, ses conseils et ses prières, son savoir et son admiration pour Avarae ; le Seigneur Eldaer et son visage éternellement préservé, ses immenses connaissances et ses récitals de sagesse, sa passion pour les légendes du passé et sa préoccupation innée pour toutes les créatures de ce monde ; Orist Norfir et son pragmatisme à toute épreuve, son optimisme qui lui a évité de sombrer après son bain dans la Source, ses histoires qui renfermaient toujours plusieurs significations selon son oratoire, sa mémoire de toute la période des Vieux Jours et son entêtement à détacher le bon du mauvais, à ne retenir que le bon et à comprendre le mauvais ; la douce cousine du nord, Laith la Splendide, aux boucles d'un blanc de l'éther, des orbes brillant de malice et de clairvoyance, et d'un bleu parsemé du pâle de l'écume, ses lèvres enjôleuses et ses paroles pleines de prudence, autant Reine que soldat, autant Dame qu'amie, une femme aux multiples facettes qui incarnait toujours celle dont nous avions besoin ; Faerran Ellalen, avec ses longues phases de mutisme réflectif et son engouement pour les étoiles et les arts, ses monologues sur le but d'une vie et ses avertissements éclairés, son amour incontestable pour son peuple et sa merveilleuse épouse, et la lueur...la lueur qui s'est mise à illuminer tout son être en apercevant pour la première fois son fils, son bébé, son héritier. J'ai suivi assidûment la suggestion de Laerran et j'ai imaginé tout cela. Mon corps s'est apaisé en quelques minutes. Mon esprit s'est détendu. Mes muscles se sont décrispés. J'ai même songé à mon frère ; Ruvaen dans son armure saillante, avec ses discours grandiloquents sur l'indépendance et l'affranchissement des chaînes du père. La moitié d'entre eux ont péri. À l'autre moitié, j'ai trahi des promesses d'amitié et me suis détournée d'eux. Ils me manquent tous, les morts comme les vivants. Aujourd'hui, je reste Dame Aeryn, la guerrière à la magie instable qui assiste la troupe dans leur dessein. Demain, peut-être que je redeviendrai celle que j'étais autrefois. Je m'emploierai à recoudre les fils coupés de mes relations passées. 

Cela a laissé l'occasion à Torebok d'enfin discuter avec sa belle Elfe. Elle s'est éloignée dans les Bois Endormis, goûtant encore un peu à cette faible magie d'Avarae qui y perdure, et il l'a rejointe avec la détermination d'enterrer le malaise entre eux. Nul n'a épié leur conversation, ceci ne nous regarde pas. Elle s'est d'abord agacée, sûrement en revenant sur la sombre nuit où il a entrepris de se baigner dans la Source. Puis, ses traits jeunes et vifs ont arboré le poids d'un trouble profond. Enfin, il lui a baisé la main et elle ne s'est pas écartée, ce qui représente une bonne nouvelle pour le Maître Nain. 

Dame AerynOù les histoires vivent. Découvrez maintenant