Vers la loyauté

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Lors de notre dernière soirée dans le Mont de Fer Rouge, le Seigneur Themmig organise un festin en l'hommage d'Orist Norfir qui, moins présent parmi les communautés des Nains, était apprécié de tous les peuples affranchis. Le tintement des coupes résonne, quelques rires et des chants lugubres s'ensuivent, accompagnés par les grondements de tambours et les échos de cors. Khesea se joint à eux. Elle n'en a pas envie. Ses assistants insistent et la poussent jusqu'à la caverne principale. De ce qu'elle m'en dit à son retour, cette soirée ne représente en rien le Mage libre. Les Nains se sont accaparé cette occasion pour se détendre et passer un bon moment tous ensemble. 

Du moins, ce n'est pas le cas du Seigneur Themmig qui s'est isolé dans sa salle privée, avec quelques-uns de ses proches amis et mes compagnons. De leur côté, l'ambiance n'est pas à la fête, loin de là. Il aurait même autorisé l'Elfe à psalmodier des mélodies pieuses de sa race en l'honneur d'Orist. Je n'y assiste pas et Khesea ne s'absente qu'une petite heure, me tenant compagnie. Notre départ étant tout proche, je n'aimerais pas retomber dans mon chagrin profond. Pour sûr, être bercée par les lamentations elfiques et couverte de regards tristes ne m'aideraient pas. Je m'extirpe tant bien que mal de la souffrance du deuil et je reprends des forces autant que je le peux. Mieux vaut que je conserve mon énergie pour le voyage, et non pour les larmes.

Khesea, dans sa générosité habituelle, fait quérir plusieurs assiettes débordantes de viandes rôties ou grillées et me presse de manger à ma faim avant notre voyage. Deux heures après le début du festin, un Nain apporte des présents – l'un d'eux provient de l'Ancienne et l'autre du Seigneur. Elle a demandé à un couturier et un armurier de me créer une tenue à ma taille. Elle l'a commandée en cette fin d'après-midi et donc ils ont travaillé dans la hâte. Il s'agit d'habits des plus sommaires, mais produits à partir d'un acier dur et d'un tissu revêche. 

Dans le cas où nous atteindrions la Forêt des Jours Éternels sans encombre, les Elfes me fourniront un meilleur équipement. Elle s'excuse d'y avoir pensé trop tard. Cette tenue suffira. Je la remercie et me penche ensuite sur le sac à dos proposé par Themmig Opalshaper. Il contient de la nourriture, une cape, deux gourdes fraîches et remplies, un cordage... De quoi repartir sur de bonnes bases. 

Le Nain a patienté docilement que je termine mon inspection de ces présents et je lui confie ma gratitude envers Themmig Opalshaper, bien que je comptais lui faire mes adieux en personne. Cependant, il est resté pour m'avertir que son Seigneur a pris congé de ses invités et que mes compagnons poursuivent leur dernière soirée de répit en comité réduit. Il ne m'y invite pas directement, mais ses paroles sous-entendent que je devrais quitter ces appartements et regagner ma troupe. J'opine du chef, signe qui le satisfait puisqu'il se courbe et s'en va d'un pas léger.    

— Rejoignez-les, c'est l'heure. Adieu, ma chère Aeryn. Adieu, et bonne chance. La prochaine fois que nous nous rencontrerons, peu importe votre nom, j'espère que ce sera pour célébrer la fin de la guerre. 

— Je l'espère aussi, Khesea. Adieu, mon amie. Le jour où nous nous reverrons, les cors de victoire retentiront dans toutes les montagnes des Nains.

Elle serre ma main dans la sienne, comme pour sceller cette promesse, et je lui baise le front en guise d'au revoir. Me voilà habillée à la mode des Nains, avec un lourd plastron et d'épaisses cuissardes, l'acier s'entrechoque à chacun de mes pas. L'on s'écarte à mon passage ou l'on me désigne vaguement la direction à prendre. Je me dirige sans mal. Les boules de cristal lumineuses se sont éteintes. Éclairés par les bougies, les dédales se succèdent, puis j'identifie les ombres de mes compagnons, de simples silhouettes dans la pénombre. Leurs voix me parviennent nettes et tranchantes. Non sans une once de curiosité, je tends l'oreille. Je n'ai pas l'intention de les épier, néanmoins mon nom rebondit de bouche en bouche. J'intercepte des bribes chuchotées à la hâte.

Dame AerynOù les histoires vivent. Découvrez maintenant