9. Femme de ménage

23 5 0
                                    

Le premier vendredi de juillet, Roderick Ashford fut solennellement invité au manoir Murdoch. Il reçut une invitation imprimée sur un rouleau de parchemin fermé par un sceau de cire mauve. Le cœur battant, le petit garçon réalisa que c'était la première lettre qu'il recevait de sa vie entière. Il la décacheta avec un certain plaisir et ne réagit même pas aux moqueries de son frère Trevor, qui trouvait ridicule qu'un gamin dépourvu de baguette fût remarqué pour ses capacités magiques.

Sa mère l'emmena donc avec elle, le lundi suivant, au manoir où elle s'occupait de la vieille Mrs Murdoch. Roderick s'habilla d'une simple robe de sorcier noire et utilisa pour la première fois du gel pour coiffer soigneusement ses mèches châtain. Il transplana avec sa mère, excité mais avec tout de même une petite appréhension : et s'il n'était pas assez bien pour ces enfants de bonne famille ? Il avait conscience d'habiter dans un immeuble miteux, et d'être le fils de celle qui jurait fort et parlait haut sans se soucier de ce que les autres pensaient.

Enid et Roderick se matérialisèrent devant le portail vert et les deux plantes carnivores, dont le petit garçon s'écarta avec prudence. Cependant, contrairement à la fois précédente, la petite créature qui leur avait servi le thé était là pour les accueillir. Elle s'inclina bien bas devant les deux visiteurs, et s'exclama d'une voix suraiguë :

« Mr Ashford, Mrs Ashford, soyez les bienvenus. Mr Ashford, les jeunes maîtres vous attendent impatiemment, vous plairait-il de me suivre ? »

Roderick mit une bonne minute à comprendre que c'était à lui que l'on s'adressait. Mr Ashford, d'ordinaire, c'était son père, certainement pas lui. Il fallut que sa mère le poussât d'une grande frappe dans le dos pour qu'il avance.

« Euh, oui, d'accord, merci beaucoup mademoiselle », déclara-t-il, déboussolé.

La créature ouvrit de grands yeux globuleux, ronds comme des ballons, et Enid siffla à voix basse :

« Roderick, ça ne va pas de l'appeler mademoiselle ! C'est une elfe de maison !

-Mon nom est Silla, monsieur, dit la créature de sa voix haut perchée. Juste Silla. »

Roderick acquiesça et se jura de ne plus ouvrir la bouche à moins d'être parfaitement sûr de ce qu'il s'apprêtait à dire. Il resta donc parfaitement silencieux tandis qu'il suivait Silla l'elfe dans les couloirs du manoir, osant à peine jeter un coup d'oeil sur les vitrines qui renfermaient des objets précieux et les tableaux accrochés aux murs. La petite créature le mena au premier étage, jusqu'à la première porte où elle frappa respectueusement trois petits coups. Il y eut alors des cris, un grand remue-ménage, puis la porte s'ouvrit sur une tête blonde qui observa un instant Silla avant de porter son regard sur Roderick, qui dévisagea autant qu'il fut dévisagé.

Il avait en face de lui un garçon de son âge environ, aux cheveux blonds comme les blés et au nez pointu. Il n'était guère plus grand que Roderick, mais dans ses yeux brillait une étincelle que le petit garçon associa immédiatement à de l'intelligence. Il finit par sourire poliment et par tendre la main à Roderick en déclarant :

« C'est toi le fils de la femme de ménage ?

-Elle est aide-soignante, pas femme de ménage, précisa Roderick.

-C'est pareil », lança le petit garçon en face de lui avec un sourire méchant.

Il tendit la main plus en avant, mais lorsque Roderick voulut la saisir, il l'écarta brusquement et se l'essuya sur le bras, provoquant des rires derrière lui.

« Tu es sang-pur, au moins ? s'enquit le garçon.

-Evidemment ! s'agaça Roderick qui commençait à se demander pourquoi il était venu. Mes quatre grands-parents sont des sorciers.

La guerre aux yeux gelésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant