20. Une goutte dans l'océan

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Emma Coston ouvrit très précautionneusement la porte de sa chambre. Elle jeta un regard par l'entrebâillement pour vérifier que celle qui était devenue son ennemie personnelle depuis quelques semaines ne l'attendait pas sournoisement derrière, mais soupira de soulagement en constatant que la voie était libre. Elle se faufila silencieusement à travers le salon et courut s'enfermer dans la cuisine.

« Bah alors ? l'accueillit une voix moqueuse lorsqu'elle eut refermé la porte derrière elle. Qu'est-ce qui te fait détaler comme ça ? »

Emma sursauta, une main sur le cœur, en voyant la vieille appuyée contre le comptoir de la cuisine, un air particulièrement réjoui sur le visage.

« Rien, tout va bien, se défendit-elle. Je voulais simplement éviter de réveiller les enfants.

-Ah oui ? lança la vieille, qui semblait de plus en plus heureuse. Dans ce cas, ça t'embêterait d'aller arroser Philip ? »

Emma pâlit et lui jeta un regard noir. Grillée.

« J'en reviens pas, ricana la vieille. Ah, c'est trop drôle ! Philip te fiche la trouille !

-Mais vous avez vu la tête du machin ? se défendit Emma, vexée. Honnêtement, même la Tentacula vénéneuse de mon prof de botanique, à l'école, était plus calme que ça !

-Bah, les Tentacula vénéneuses te font du mal si elles te piquent, mais elles ne sont pas agressives. Philip, c'est l'inverse. Il est excité, mais il ne ferait pas de mal à une mouche.

-Pas de mal à ... éructa Emma. Et puis, par Merlin, est-ce qu'on pourrait arrêter de l'appeler Philip ? C'est un plant de tomate, pas un chien ! »

En octobre, pour distraire les enfants, la vieille les avait associés à la création de plants de tomate à la croissance accélérée. Le dosage s'était avéré un peu enthousiaste – avait dit la vieille – ou complètement disproportionné – avait dit Emma – et le premier prototype avait littéralement prit vie sous leurs yeux. Rebecca et Valerian avaient insisté pour le garder, et le dénommé Philip avait pris place dans le salon, tout proche de la chambre d'Emma.

Le lendemain, la jeune fille était sortie de sa chambre comme tous les matins, encore légèrement brumeuse, et n'avait pas compris ce qui se passait lorsqu'une branche verte épaisse comme une corde s'était enroulée autour de sa taille et l'avait traînée dans tous les sens à travers la pièce. La scène avait bien fait rire la vieille et les enfants – aucune pitié, ces gosses – mais avait traumatisé Emma, qui depuis se méfiait comme de la peste du plant de tomates.

« C'est bien mieux qu'un chien, rétorqua la vieille. Tiens, bonjour Valerian ! Tu as ramassé des tomates ? »

Emma se retourna et vit le petit garçon entrer dans la cuisine, les bras chargés de tomates. Un des autres effets de la modification magique qu'avait subie Philip était qu'il produisait des fruits à une vitesse considérable, de l'ordre de plusieurs livres par jour. Il fallait vite cueillir les tomates, parce qu'autrement, elles pouvaient rapidement atteindre la taille d'un petit potiron.

« T'arrives à t'approcher du monstre, toi ? » lança Emma.

Valerian lui jeta un coup d'œil peu amène.

« Ce n'est pas un monstre, c'est mon ami. Il aime bien quand je lui joue de la musique. Et d'ailleurs, si tu ne le traitais pas de monstre, peut-être qu'il t'aimerait bien aussi.

-Désolée, désolée », s'excusa Emma en levant les mains.

Elle avala son café en vitesse ainsi que deux toasts, ébouriffa les cheveux de Valerian qui lui adressa un petit sourire en retour, ayant rapidement oublié qu'elle avait insulté son plant de tomates préféré. Elle retourna dans le salon, où elle trouva Rebecca assise sur le canapé, en train de faire un origami avec une feuille de papier. Emma s'immobilisa en la voyant.

La guerre aux yeux gelésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant