11. Des actions derrière les logorrhées

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Roderick mit tout l'été à réunir la somme qu'il devait aux Murdoch. Pendant tout ce temps, il vint au manoir plusieurs fois par semaine, à chaque fois que sa mère s'y rendait et parfois seul également. En réalité, peu de choses changèrent. Lucas et Licinius éprouvaient toujours le même plaisir à se moquer de Roderick et à traiter sa mère de femme de ménage, et Sienna n'accordait qu'un intérêt limité à tout ce qui se passait autour d'elle.

Roderick aurait supplié sa mère de ne plus l'emmener, s'il n'y avait pas eu les leçons de magie de Thelma Murdoch. Tous les après-midi, après un repas pris dans la salle à manger familiale où seuls les adultes avaient le droit de parler, la sorcière enseignait aux enfants à utiliser leur magie. Trop jeunes, ils ne possédaient pas encore de baguette, à l'exception de Licinius qui utilisait celle de son grand-père décédé. Néanmoins, il existait un univers de choses que l'on pouvait réaliser même sans baguette, et cela, Roderick le découvrait avec fascination. Alors, il serrait les dents pendant les matinées passées à se faire maltraiter par Licinius et Lucas sous l'œil indifférent de Sienna, et attendait impatiemment les après-midis.

Enfin, un jour de la fin du mois d'août, il arriva au manoir Murdoch avec le Gallion en Mornilles et en Noises. Les enfants étaient dans le jardin, ce jour-là, et Roderick attendit que sa mère l'eût déposé et fût allée rejoindre la vieille Mrs Murdoch, dont elle s'occupait, à l'intérieur. Sienna était appuyée contre un arbre et lisait : elle leva un œil par-dessus son roman lorsque Roderick arriva, ce qui équivalait à une salutation chaleureuse de sa part. Licinius et Lucas, quant à eux, tournèrent ostensiblement le dos au nouveau venu.

« Licinius, appela Roderick.

-Qu'est-ce que tu veux, encore ? soupira le garçon en lui adressant un regard ennuyé.

-J'ai l'argent. »

Licinius haussa un sourcil et Roderick sortit de sa poche la poignée de pièces qu'il avait réunies. Il y avait mis toutes ses économies, sa mère lui avait donné une partie du reste en le prévenant que cela vaudrait pour ses cadeaux de Noël et d'anniversaire des deux années à venir, et il avait obtenu les trois Mornilles restantes en allant arroser les plantes chez une autre patiente de sa mère.

« Le compte y est, annonça-t-il sobrement. Un Gallion. »

Les yeux de Licinius se mirent à briller et il tendit la main, dans laquelle Roderick versa les pièces. Il les compta soigneusement, puis lâcha :

« Il était temps.

-N'en parlons plus, déclara fermement Roderick. On est quitte.

-Tu as épongé ta dette », corrigea Licinius.

Roderick ne répondit pas et se dirigea vers Sienna. Il avait pris l'habitude de lire à ses côtés, tandis que les deux autres garçons jouaient sans leur adresser la parole. Il sortit de sa poche le livre de contes qu'il avait emprunté dans la bibliothèque des Murdoch la semaine précédente, et l'ouvrit là où il s'était arrêté. Il lut avec un intérêt mitigé : Roderick était un petit garçon énergique, qui n'aimait rien tant que courir en tous sens et se dépenser. La lecture, c'était intéressant, mais seulement un moment. Enfin, cela faisait au moins passer le temps.

Il était en train de tourner la page lorsqu'il remarqua que Sienna l'observait. Il releva la tête, surpris de cette marque d'attention, et lâcha d'un ton interloqué :

« Quoi ? »

Elle haussa un sourcil et replongea dans sa lecture.

« Sienna, qu'est-ce qu'il se passe ?

-Pourquoi tu voudrais qu'il se passe quelque chose ? demanda-t-elle d'un ton plat.

-Pourquoi tu me regardais ?

La guerre aux yeux gelésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant