17. L'Orpington Evening

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Emma s'était armée d'un arsenal de résolutions pour s'occuper de manière exemplaire de deux enfants orphelins. Logistique, cuisine, devoirs, soutien psychologique : elle avait tout prévu. Sa propriétaire était rapidement retournée à ses grimoires et potions, mais Emma s'était fait un devoir de veiller à ce que les enfants Rhyce soient parfaitement bien traités.

Mais la réalité fut que Rebecca et Valerian étaient très autonomes. Il avait suffi qu'Emma leur montre la maison le premier jour pour qu'ils prennent leurs marques : ils lavaient leurs vêtements et faisaient le ménage d'eux-mêmes, géraient leurs repas lorsqu'Emma n'était pas là, et s'occupaient seuls. Valerian passait beaucoup de temps à jouer de la musique – la vieille avait rapidement jeté un sortilège d'insonorisation sur la chambre des enfants, tant pour éviter que les voisins ne le remarquent que pour s'empêcher de devenir folle. Rebecca, quant à elle, faisait ... Bon, Emma ne savait pas exactement ce qu'elle fabriquait, mais la petite fille ne s'était jamais plainte de s'ennuyer. Alors, Emma s'était retrouvée désœuvrée.

Et l'inconvénient, quand on était désœuvré, c'était que l'on avait du temps pour penser.

« Emma ? C'est pour toi. »

Emma releva le nez de ses parchemins et aperçut l'une de ses collègues de bureau qui lui tendait une enveloppe scellée avec un sourire absent. Il s'agissait de Grace Ingham, une sorcière qui mettait Emma légèrement mal à l'aise. La jeune femme la soupçonnait d'avoir un léger handicap mental : elle était très lente, semblait toujours dans la lune et arborait en permanence ce petit sourire perdu.

« Merci, Grace, mais j'ai déjà récupéré toute ma pile ce matin. Ça doit être à quelqu'un d'autre. »

Grace jeta un regard ébahi à l'enveloppe, comme si elle avait oublié qu'elle la tenait à la main. Puis elle secoua la tête et affirma :

« Non, non, c'est bien pour toi. Pas une lettre de quelqu'un d'autre que tu dois traiter. Une lettre pour toi. »

Surprise, Emma attrapa l'enveloppe et la décacheta. Effectivement, elle était bien à son nom : Emma Coston, secrétariat du service des usages abusifs de la Magie, département de la Justice magique. Elle lut rapidement le parchemin qu'elle contenait, fronça les sourcils et recommença sa lecture, plus lentement. Elle avait mal compris. Elle avait forcément mal compris.

Grace, en face d'elle, était retournée à sa place et s'était remise au travail en chantonnant. Emma lui lança un coup d'œil et lut une troisième fois son courrier.

Elle était mutée. Elle restait dans le département de la Justice magique mais changeait de service pour rejoindre une nouvelle branche, créée à l'été et dont Emma avait à chaque fois entendu parler avec un frisson d'horreur ou une bouffée de rage : la commission d'enregistrement des Nés-Moldus. On lui demandait, à elle, de participer aux rafles des Nés-Moldus. A elle. Cela constituait certes une preuve que son stratagème du mois d'août avait fonctionné, mais Emma s'en serait bien passée.

Elle devait prendre ses nouvelles fonctions dès la semaine prochaine, suite à un rendez-vous avec sa supérieure, et participer à la constitution des dossiers qui serviraient lors des audiences. A cette simple pensée, elle se sentit prise d'un dégoût tel qu'elle se retint à grand-peine de déchirer le parchemin.

Elle le rangea au fond du tiroir le plus bas de son bureau, là où se trouvaient les dossiers qu'elle n'ouvrait jamais, et se remit au travail avec fureur. Et bien sûr, elle supposait qu'il était hors de question de dire non, cela serait suspect ... La lettre précisait qu'elle aurait une augmentation. Nom d'un chaudron, c'était ainsi qu'ils ralliaient les anonymes ? En les payant ? Emma envisagea très sérieusement de refuser, en souvenir de Cameron, de Mrs Rhyce et de ses propres parents. Mais elle ne le ferait pas, pas quand Rebecca et Valerian vivaient chez elle.

La guerre aux yeux gelésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant