La guerre aux yeux gelés

32. Une vie normale

Musique : Le monde est à mes pieds, Scylla

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Un nouveau rythme s'était installé dans le petit appartement du rez-de-chaussée. La vieille avait accepté que les enfants Rhyce et Emma continuent d'y habiter, mais rapidement, tous s'y étaient sentis à l'étroit et Charlotte avait décidé de réinvestir l'appartement du haut. Emma avait cru que Rebecca fuguerait plutôt que d'y retourner, mais à sa grande surprise, la petite fille n'avait pas protesté, même si elle passait le plus clair de son temps au rez-de-chaussée, avec la vieille. C'était fou, l'influence que Charlotte avait sur sa petite sœur.

Emma avait aidé Charlotte à réaménager l'appartement, qui était noire de crasse après des mois d'abandon – et il fallait aussi admettre que Maud et Edward Rhyce avaient eu des goûts assez limités en matière de décoration d'intérieur. Ils avaient repeint tous les murs de teintes colorées, ils avaient vendu les vieux meubles et en avaient acheté de nouveaux. C'était Charlotte, du haut de ses quatorze ans, qui dirigeait tout, et Emma était impressionnée par son dynamisme et son autorité naturelle.

Un jour où son frère et sa sœur accompagnaient la vieille sur le Chemin de Traverse – enfin, c'était ce que la vieille avait dit, mais Emma ne pouvait pas garantir qu'ils n'atterrissent pas dans l'allée des Embrumes –, Charlotte avait même rangé les affaires de ses parents. Emma, qui lui donnait un coup de main, avait eu un coup au cœur et avait dû s'asseoir un instant, mais Charlotte n'avait pas flanché. Les yeux résolument secs, elle avait empilé dans des cartons tous les vêtements, dans un autre les centaines de lettres qu'ils s'étaient écrites. Les vêtements avaient été donnés, les objets personnels enfermés dans le placard. La seule chose que Charlotte avait laissé au milieu de la pièce, prêts à servir, c'étaient les instruments de service.

« Un jour, confia-t-elle à Emma, on les réutilisera. Valerian jouera du piano ici, sur le tabouret de maman, et Rebecca sortira sa clarinette pour jouer avec papa. Et moi, j'aurai mon violon.

-Ce sera magnifique, se força à dire Emma, qui avait des doutes sur le réalisme du projet. Mais ... Enfin, tu sais Charlotte, Rebecca ne touche plus à sa clarinette. Elle refuse obstinément. D'ailleurs, elle refuse de parler de vos parents. Avec Valerian, j'y arrivais un petit peu, mais elle ... Impossible, elle est trop fermée.

-Je sais, soupira Charlotte. Elle n'a pas fait son deuil. Enfin, moi non plus, et Valerian non plus, mais elle, je pense qu'elle n'a même pas commencé à accepter la mort de maman.

-Elle a énormément pris soin de Valerian pendant l'année.

-Et ça, ça m'a surprise, ils n'ont jamais été proches ! Ils se chamaillaient beaucoup. Enfin, pour cette histoire de clarinette, poursuivit Charlotte, Rebecca a toujours été très butée, et elle adorait papa comme personne d'autre. Alors, je pense que c'est plus facile pour elle de le rayer de sa vie que d'admettre qu'il ne l'aimait pas assez pour rester.

-Tu penses que c'est ça qu'il s'est passé ? osa Emma. Qu'il ne vous aimait pas assez ? »

Charlotte eut un sourire fatigué qui lui donnait bien plus que son âge, et ne répondit pas. Emma inclina la tête, ayant bien reçu le message, et se tut. Les deux filles bouclèrent les derniers cartons, puis Emma aspira la poussière qui traînait avec sa baguette et elles sortirent de la chambre, refermant la porte à clef derrière elle.

La maturité de Charlotte sidérait Emma. Elle-même, en comparaison, faisait pâle figure. Depuis la bataille de Poudlard et la mort du Seigneur des Ténèbres, elle n'était pas retournée travailler. Une lettre du Département de la Justice Magique lui était parvenue, lui annonçant qu'une enquête était ouverte sur la Commission d'Enregistrement des Nés-Moldus, et qu'elle devait s'attendre à une audience. Puis une autre était arrivée, lui proposant son ancien poste au service des usages abusifs de la magie – apparemment, ils manquaient de monde. Emma n'avait répondu à aucune des deux.