15. Quarante-six marches

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Musique : Je suis venu vous voir, Mano Solo

https://www.youtube.com/watch?v=GATKI0Mi5W0

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Il était près de la benne à ordures. Rebecca l'avait attendu patiemment, postée accroupie sur le trottoir. Immobile pendant près d'une demi-heure, elle n'avait pas bougé d'un demi-centimètre, attentive à ce qui se passait dans le tas de déchets face à elle. Et finalement, il était apparu de son pas léger de félin, appâté par un reste de fast-food. Dès qu'il avait tourné à l'angle de la rue et qu'il avait aperçu la petite fille aux aguets, il s'était figé, et ses yeux fendus s'étaient plongés dans ceux sombres de l'humaine.

Ils s'étaient affrontés du regard, puis le chat rouge avait décidé qu'il pouvait décemment s'approcher et était venu finir le hamburger dans la boîte en carton. Puis, lorsqu'il eut fini, il se lécha les babines et contempla Rebecca, la tête penchée, l'air de lui demander ce qu'elle voulait.

Elle haussa les épaules. L'attraper avait longtemps été son but, sans doute, pour compléter le tableau de chasse qu'elle partageait avec Roderick et dont ils étaient si fiers ... Mais maintenant ? Maintenant, elle s'en fichait. Il pouvait bien vivre sa vie. Elle se releva, inexpressive, et reprit le chemin de son immeuble.

Le chat eut l'air outré de tant d'indifférence et bondit souplement à ses côtés pour l'accompagner en trottinant. Rebecca lui jeta un regard étonné : elle en gardait le souvenir d'un animal farouche et leste, qui ne se laissait approcher ni de près ni de loin et qui ne serait en aucun cas venu volontairement. Mais bon, il faisait bien ce qu'il voulait, après tout.

Lorsqu'elle parvint à son immeuble et franchit la barrière magique qui le dissimulait aux yeux des Moldus, il la suivit encore. Et lorsqu'elle ouvrit la porte sans un regard pour lui, le chat miaula, une seule fois, mais très distinctement. Cette fois, cela agaça Rebecca, qui lui claqua la porte au museau. Elle ne voulait parler à personne, même pas à un chat dont le somptueux pelage rubis l'avait fait baver d'envie pendant des semaines.

Mais à peine avait-elle posé un orteil dans le hall de l'immeuble que la porte de l'appartement de la vieille du rez-de-chaussée s'ouvrit et qu'Emma en jaillit. Rebecca repéra la silhouette de la vieille, quelques mètres derrière elle, contre le mur.

« Rebecca, dit Emma, l'air soulagée de la voir. Comment vas-tu, ma grande ? »

Rebecca jugea qu'il était inutile de gaspiller sa salive pour répondre à cette question. Par ailleurs, elle n'était pas sûre de vouloir parler à Emma : il y avait un mois, elle lui avait assuré en la regardant droit dans les yeux qu'elles n'étaient pas en danger. Et on savait bien ce qui s'était produit derrière.

« Et avec ton père, comment ça se passe ? » reprit Emma qui avait saisi que sa question n'était pas des plus adroites.

Rebecca haussa les épaules. La vérité était qu'Edward était toujours dans le même état que lorsqu'il s'était effondré sur le corps de sa femme étendu dans le salon, le soir où tout s'était produit. Il demeurait prostré dans sa chambre, à faire on ne savait quoi, et n'adressait la parole à personne.

« C'est Charlotte qui gère, c'est ça ? » devina Emma devant le mutisme de la petite fille.

Celle-ci confirma d'un signe de tête. Oui, Charlotte avait pris les choses en main avec énergie. Elle gérait la logistique, l'intendance, et se rendait deux fois par jour dans la chambre de son père pour lui faire entendre raison, avec une constance qui forçait l'admiration devant le peu de résultat. Rebecca la secondait comme une ombre silencieuse, aidant à la cuisine et emmenant Valerian à l'école.

La guerre aux yeux gelésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant