27. Je ne suis pas d'accord

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Le père de Roderick avait disparu depuis trois jours.

Il était parti au travail comme tous les matins, laissant ses enfants et sa femme dans la nouvelle maison qu'ils habitaient, loin de Manchester et du vieil immeuble. Le soir, il n'était pas rentré, mais Enid ne s'était pas inquiétée : elle disait que Marcus faisait parfois des heures supplémentaires. Cela n'avait pas surpris Roderick, qui avait accepté sans broncher les explications de sa mère. En effet, les heures supplémentaires expliquaient la soudaine richesse de la famille, la nouvelle maison.

Toutefois Marcus n'était pas rentré pendant la nuit. Le lendemain matin, Enid semblait plus alerte que d'habitude, mais n'avait rien dit à ses enfants. Le deuxième jour, elle avait conduit Roderick à sa leçon de magie chez les Murdoch en disant qu'il ne se passait rien de grave, mais elle n'avait pas laissé Flora seule à la maison comme elle le faisait d'ordinaire. Et le matin du troisième jour, elle était partie tôt, avant que débute son travail, sans donner aucune explication à ses enfants.

Roderick avait l'estomac noué. Allongé sur son lit, il serrait entre ses doigts sa baguette en bois de peuplier en laissant son regard errer sur le plafond. Il ne pouvait s'empêcher d'imaginer les pires scénarios : après tout, Mrs Rhyce et Cameron Boswell, le frère aîné de Gavin, avaient bien été tués des mois auparavant. Mais Marcus, quoique pauvre, était Sang-Pur. Il ne pouvait pas lui arriver la même chose, pas avec ce nouveau régime qui protégeait les familles comme les Ashford.

Au rez-de-chaussée, la porte claqua, et Roderick bondit immédiatement de son lit. Dans le couloir, il tomba nez-à-nez avec Flora, qui avait eu la même réaction que lui, et tous deux se précipitèrent dans le salon.

C'était bien Enid qui venait d'entrer. Elle avait l'air pâle et les traits tirés. Elle défit son écharpe d'un geste rageur et la plaça devant le placard, qui l'aspira pour venir la sécher et la ranger soigneusement. Le manteau suivit le même chemin, puis Enid se dirigea vers la cuisine et commença à sortir poêles et casseroles pour préparer le dîner, sans un regard pour ses benjamins.

« Alors ? dit Flora, craquant la première. Tu as des nouvelles de papa ?

-Je te l'aurais dit si j'en avais, rétorqua Enid d'un ton cassant.

-Tu as cherché où ? renchérit Roderick.

-A son travail, chez certains de ses amis, à l'hôpital et à la morgue », dit Enid.

Elle alluma la gazinière et commença à faire cuire des saucisses dans une poêle.

« C'est quoi une morgue ? » voulut savoir Flora.

Mais Roderick savait, lui, il savait ce qu'était une morgue et il n'avait pas pu s'empêcher de frissonner devant la voix si sèche de sa mère. Imaginer son père mort ... Non, non, ce n'était pas possible. Pas son père.

« C'est un endroit où on met les morts, avant le cimetière, répondit Enid, avant d'ajouter d'une voix moins froide : mais il n'était pas là, Flora. »

La fillette resserra les bras autour de son inséparable chien en peluche, manifestement peu rassurée. Roderick et elle regardèrent leur mère cuisiner dans le plus parfait silence. Dehors, la nuit était tombée depuis longtemps, et les seules sources de lumière provenaient des lampadaires jaunes de la maison.

« Allez, c'est prêt, allez vous asseoir », ordonna Enid en brandissant sa poêle.

Le dîner se déroula dans un silence seulement troublé par les mastications et le cliquetis des couverts. Les saucisses étaient caoutchouteuses et avaient goût de carton dans la bouche de Roderick. Ils étaient en train de finir lorsque le portail, dans le jardin, s'ouvrit dans un grand fracas. Flora devint toute pâle et laissa tomber sa fourchette. Mais la réaction d'Enid fut immédiate : en un instant, elle était debout et un éclair doré jaillissait de sa baguette pour atteindre la porte d'entrée, qui se verrouilla. La sorcière s'approcha de la fenêtre et écarta précautionneusement le rideau.

La guerre aux yeux gelésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant