10. La fin d'un monde

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Lorsqu'Emma partit de chez elle, au matin du premier août 1997, elle croisa Rebecca dans la cour de l'immeuble, qui jouait de la clarinette. La petite fille avait descendu une chaise pour poser ses partitions contre le dossier, et soufflait avec application dans son instrument. Il était sept heures et demie du matin.

« Bah qu'est-ce que tu fais là, Rebecca ? » s'étonna Emma.

La petite fille prit le temps de finir sa ligne avant d'écarter sa clarinette de sa bouche.

« Je fais de la clarinette.

-Oui, j'avais remarqué, répondit Emma. Mais il est tôt, et tu es en vacances. Pourquoi tu ne fais pas la grasse matinée ? »

Au moment où elle prononçait ces mots, elle remarqua les traits tirés de Rebecca et son teint pâle.

« Tu as fait une insomnie ? » demanda-t-elle avec douceur, songeant que l'angoisse de la situation de la communauté sorcière devait également affecter les enfants, même si les adultes faisaient tout pour les en préserver.

Rebecca se contenta de hausser les épaules, et Emma prit cela pour un oui.

« Est-ce que tu penses qu'on est en danger ? demanda brusquement la petite fille.

-Hein ? fut la seule réponse que put produire Emma, qui ne s'attendait pas du tout à une question comme celle-là. Qui ça, on ?

-Toi, moi, ma famille, les Ashford, les Boswell, les gens de l'immeuble », l'éclaira Rebecca.

Emma prit le temps de réfléchir à la réponse. Elle avait devant elle une petite fille de dix ans à l'imagination débordante, elle devait être rassurante. Alors, elle prit son plus beau sourire et mentit effrontément :

« Tant qu'on reste dans l'immeuble, non. Il ne faut pas qu'on cherche les ennuis, tu comprends ? Mais l'immeuble est sécurisé, il y a des sortilèges de protection. »

Rebecca médita un instant la réponse, puis elle adressa un petit sourire à Emma, qui en soupira de soulagement.

« Dors la nuit, Rebecca, ajouta Emma. Vraiment, tu peux dormir sur tes deux oreilles. Personne ne va venir t'attaquer pendant que tu dors. »

Elle lui claqua un gros bisou sur la joue et reprit son chemin. Même si la situation était tendue et que tout le monde au ministère était sur les nerfs, elle devait tout de même continuer à travailler. Elle avança donc dans la rue, vérifia qu'elle était bien seule, ce qui, vu l'heure matinale, n'était pas difficile, et transplana.

Le programme de la journée n'était pas des plus passionnants, et Emma eut le temps de penser à la conversation qu'elle avait eue avec Rebecca tandis qu'elle relevait le courrier de son service. Elle avait fourni la réponse qu'elle pensait devoir fournir, mais en réalité, elle ne savait pas ce qu'elle pensait au fond d'elle-même. Était-elle en danger ? C'était une question qu'elle ne s'était jamais posée en ces termes exacts. Elle s'était déjà demandé si les nés-moldus étaient en danger, ça oui – et la réponse était oui. Mais elle ne s'était jamais considérée en temps que personne, toujours en tant que membre d'un groupe, les nés-moldus. Et quand on était membre d'un groupe, on pouvait toujours espérer passer à travers les mailles du filet.

« Sauf que c'est vraiment stupide, murmura Emma.

-Pardon ? lança une de ses collègues derrière elle.

-J'ai pris une lettre qui n'est pas pour nous, inventa Emma à une vitesse qui la surprit elle-même. Et manque de chance, c'est une lettre pour un service qui est littéralement à l'autre bout du ministère ... Bon, eh bien le temps que je revienne, on se voit la semaine prochaine ! »

La guerre aux yeux gelésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant