14. Allez crever

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Rebecca découvrit le concept de cimetière en même temps que celui de grands-parents maternels. Oh, bien sûr, elle savait ce que c'était qu'un cimetière, elle connaissait le mot et la définition, mais elle n'y avait encore jamais mis les pieds. De la même façon, elle connaissait le concept de grands-parents, mais elle n'en avait encore jamais découvert la réalité concrète. En l'occurrence, le cimetière se révéla être un immense espace couleur béton, où les plaques funéraires étaient alignées comme les carreaux d'un cahier de classe, et les grands-parents se révélèrent être deux petits vieux au visage ridé, un homme aux traits familiers vêtu d'une veste en tweed et une femme aux sourcils si froncés qu'ils avaient l'air de s'enfoncer dans ses orbites. Mr et Mrs Wheeler attendaient ce qui restait des Rhyce à l'entrée du cimetière, et fondirent sur Edward comme des faucons.

Rebecca serra les doigts de son petit frère entre les siens et laissa son regard se perdre dans l'immensité des tombes lisses, grises, blanches ou noires. Depuis que Valerian s'était collé à elle, le jour où les quatre inconnus étaient venus, elle ne l'avait pas lâché. Ils avaient dormi ensemble, dans le même lit, et ils ne se séparaient pas même pour manger. Heureusement que Rebecca savait utiliser sa main droite comme sa main gauche, ce qui lui avait permis de ne pas desserrer sa prise une seule seconde.

Elle tourna son regard vers son père, à quelques mètres d'elle, qui regardait d'un air vide ses beaux-parents. En trois jours, Edward était devenu un autre homme, physiquement aussi bien que mentalement. Physiquement, il était devenu crayeux et ses épaules, qui s'étaient voûtées lorsqu'il s'était jeté sur sa femme étendue sur le sol du salon, ne s'étaient jamais redressées depuis. Et mentalement ... il n'avait pas adressé un seul mot à ses enfants depuis le drame.

De l'autre côté de Rebecca, Charlotte poussa un soupir et se dirigea vers son père et ses grands-parents à grands pas, les yeux rouges mais le regard déterminé. Elle était arrivée la veille, accompagnée par l'un de ses professeurs, une sorcière au chignon tiré et aux lunettes carrées dont Rebecca n'avait pas retenu le nom. Elle devait revenir la chercher dans l'après-midi.

« Bonjour, salua-t-elle ses grands-parents avec politesse à défaut de chaleur. Ce ne sont pas les circonstances idéales pour faire connaissance, mais ... je suis Charlotte. »

Elle inclina la tête et planta son regard dans celui de son grand-père, qui l'étudiait de ses yeux plissés.

« Tu es l'aînée, c'est ça ? lança Mrs Wheeler. Alors, c'est de toi qu'elle est tombée enceinte quand elle est partie.

-Généralement, pour avoir un enfant, il vaut mieux commencer par tomber enceinte », commenta Charlotte à mi-voix.

Sa grand-mère ignora sa pique et reprit de sa voix sèche :

« Je ne lui ai pas parlé depuis quinze ans, mais c'était ma fille. Comment est-elle morte ? »

Rebecca vit sa sœur fermer les yeux pour se donner du courage, et répondre :

« Elle a été assassinée. »

Aucune émotion ne défila sur le visage de Mrs Wheeler, mais ses traits se durcirent encore.

« En même temps, vous avez vu l'endroit où vous habitez ? s'exclama-t-elle en se tournant vers Edward. Dans un taudis de banlieue comme ça ... La banlieue c'est connu pour sa criminalité ! Alors, bien sûr, j'imagine que quand on a vingt ans, qu'on vient de s'enfuir de chez ses parents avec un enfant à venir et qu'on n'a même pas de vrai métier, on n'a pas le choix ... Mais que diable, ce n'est pas un endroit pour vivre ou pour élever des enfants ! Vous n'avez eu que ce que vous cherchiez, et ce n'est pas faute de vous l'avoir dit ! »

Edward plongea son visage dans ses mains, et ses épaules se creusèrent encore plus, comme s'il pleurait – ce qui était sûrement le cas. Charlotte voulut poser sa main sur son bras, mais il se recroquevilla sur lui-même pour éviter le contact. Sa belle-mère eut une exclamation dédaigneuse.

La guerre aux yeux gelésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant