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Evy

Le soleil plombe dans la pièce et il fait terriblement chaud. J'attends sagement que Charles sorte de la douche pour qu'on parte voir sa mère. Je ris encore mentalement de la scène de la veille. J'avais tellement envie de le voir perdre le contrôle et ça a marché. Je défroisse la plie de ma robe en analysant dans le miroir. Il y a longtemps que je ne me suis pas senti aussi à l'aise à voir mon reflet. Certes, la robe vaut plus qu'une année entière de mon salaire, mais pour une fois, je ne dénigre pas le corps qui se cache dessous. Je suis touchée que Charles m'ait offert cette tenue, car elle me ressemble. Ça n'a rien à voir avec les premières robes que nous avions reçu au Brésil. Celle-ci est élégante et très légère. Elle me couvre à peine le genou et sa coupe évasée m'avantage fortement.

-Oh, je vois que tu es déjà habillé... Dis Charles d'un ton déçu.

Je tourne sur moi pour lui présenter ma tenue.

-Wow! Elle te va à ravir...j'avais peur que tu ne l'aimes pas.

-Tu veux rire? Elle est parfaite, Husband.

Il me sourit, tout fier de son coup. Il avance vers moi en gardant les yeux bien braqués sur moi.

-Doux, mon beau. Ta mère nous attend. Je l'avertis en levant le doigt.

-Ah parce qu'aujourd'hui, tu penses à ma mère...s'indigne-t-il faussement. Il me souffle un baiser en poursuivant son chemin vers sa penderie.

Je quitte la chambre, car je sais qu'une fois qu'il sera nu, je n'arriverai pas à être aussi raisonnable. Je longe le couloir menant à la pièce centrale et m'arrête devant les photographies sur les murs. Je crois reconnaitre certains pilotes, mais il y a d'autres visages qui me sont inconnus. L'image la plus imposante est celle de Charles et sa famille. Sa mère est entourée de ses trois garçons et elle regarde amoureusement son père. Pendant mes recherches internet, j'ai lu qu'il était malheureusement décédé à la suite d'un cancer. Pauvre Charles, je ne m'imagine pas perdre mon père aussi jeune. D'ailleurs, je réalise qu'il y a plusieurs semaines que je n'ai pas donné signes de vie à mes parents. Alors, je sors mon téléphone et leur envoie un message rapide.

-Moi : Je suis à Monaco...pourriez-vous le croire! Je vous embrasse et je vous appelle à mon retour.

-Parents : On pensait justement à t'appeler. On t'a entendu à la radio et ton père était sens dessus dessous. Profite de ton voyage ma chérie. Surtout, n'oublie pas de faire attention à toi. On t'aime beaucoup.

Je souris à la vue de leur réponse rapide et en profite pour leur envoyer un selfie de moi devant la vue splendide de Monaco. Mes savent que mon mariage avec Charles est contractuel, mais ils ne sont pas au courant des derniers développements. Je ne veux pas les inquiéter, ils m'ont tellement aidé pendant ma descente aux enfers que je ne veux pas qu'ils craignent une rechute de ma part. Je me souviendrai toujours du visage à mon père lorsqu'il m'a prise dans ses bras. La mine basse, il retenait ses larmes. Ma mère l'avait appelé à l'aide parce qu'elle paniquait trop.

Deux ans plus tôt.

Je vide mes poches dans la corbeille de la salle de bain. Par chance, j'avais pensé mettre des pantalons avec de grandes poches. Je savais que ma mère me cuisinerait quelque chose de calorique. Ça fait plusieurs mois qu'ils sont sur mon dos. Mon père n'a pas détourné le regard une fois pendant le repas. J'entends encore ses paroles :

-Evelyne, tu dois manger...c'est vital à ta survie. Arrête de t'en faire, tu es parfaite comme tu l'es.

Je suis parfaite! Oui, c'est ça. Il est obligé de dire ça, je suis sa fille. Dieu merci, son téléphone a sonné et j'ai pu profiter de sa minute d'inattention pour mettre mon repas dans mes poches. J'ai mis un peu de sauce sur mes lèvres pour lui faire croire que j'ai bien mangé la viande. Il est resté surpris par ma vitesse d'exécution, mais il était beaucoup trop content que j'aille manger pour investiguer plus loin. Je me regarde dans le miroir et je fais peine à voir. La grosseur de mon corps me dégoute. Je rêve de ressembler aux femmes qu'on voit dans les magasines de mode. Leurs vies semblent si parfaites. Elle se pavane au bras d'un bel homme et ne se préoccupe pas de devoir cacher de la nourriture dans leurs poches. Même le vert de mes yeux est terne... Tout mon corps m'abandonne. La seule chose qui me tourne en tête c'est les trois petits morceaux de pain que j'ai mangé. Ils détruiront ma diète. C'est hors de question que je garde ça dans mon estomac. Je m'installe à genoux devant la cuve des toilettes et juste avant de mettre mon doigt dans le fond de ma gorge, j'active la champlure du bain pour camoufler le bruit. Tout mon torse se tord de douleur. Mes muscles brûlent à chaque contraction. Ça lui prend une bonne minute pour réussir à sortir la minuscule portion de nourriture. Je suis parfaitement consciente que c'est mal ce que je fais, mais c'est plus fort que moi. Chaque fois que je me vois dans le miroir, j'entends les bêtises qu'on me lançait. Un jour en classe de gym, un garçon m'a pris en photo, à mon insu, pendant que je me changeais dans le vestiaire. La photo de moi en sous-vêtements à fait le tour du campus assez rapidement. Je ne pouvais plus aller nulle part sans qu'on me parle de la photo. J'ai reçu beaucoup de commentaires négatifs sur mon allure corporelle. On m'appelait Whaley Evy ( Evy la baleine) c'est à partir de cet instant que mon poids est devenu une vraie obsession pour moi. Me voilà, quatre mois plus tard à essayer de vomir trois morceaux de pain dans la salle de bain de chez mes parents. Mon corps vacille de fatigue, un bon bain me fera le plus grand bien. Je retire mes vêtements et les laisse tomber au sol. Je n'ai même pas l'énergie de les placer correctement sur le comptoir. Je m'appuie contre le mur en me glissant doucement dans la baignoire. Je respire lentement, je sens le sommeil me guetter. Le bruit de l'eau calme mon esprit et je me laisse bercer par celui-ci. Je me sens de plus en plus faible et lorsque j'essaie d'ouvrir les yeux, mon corps ne répond plus.

Putain, mais qu'est-ce qui m'arrives.

J'entends l'eau qui se déverse sur le plancher... Merde, mes parents vont me tuer.

Un bruit de fond m'alerte que quelqu'un frappe sur la porte.

Bang! Bang! Bang! Suivi d'un craquement de bois qui se brise.

-Evelyne! ROBERT...ROBERT...VIENT M'AIDER. Cri hystériquement, ma mère.

-Bordel de merde... Evelyne...Evelyne. Raisonne la voix de mon père.

L'instant d'après, je sens ses bras me sortir de l'eau. Le contraste de chaleur suffit à me faire reprendre connaissance. J'ouvre difficilement les yeux et je vois mon père retenir ses larmes. Ma mère m'a couvert d'une serviette de plage.

-Là, ça suffit. On doit faire quelque chose. As-tu vu l'état de son corps ? J'ai l'impression qu'elle va se briser dans mes bras. Sanglote-t-il.

Ses paroles m'arrachent une larme. Je m'en veux de leur faire vivre tout ça.

-Je m'excuse papa! J'articule difficilement en pleurant contre son torse.

Le jour suivant, j'entrais en thérapie fermé.

Bienvenue à VegasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant