Chapitre 4 - Dans la vie comme à la boxe, mieux vaut éviter de baisser la garde

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— Regardez qui va là ! Ne serait-ce pas la femme la plus belle de tout le Bolívar ?

Je n'ai pas besoin de lever les yeux pour reconnaître la voix qui m'interpelle. Au-delà des phrases que seul lui est capable de prononcer, je reconnaîtrais les senteurs de musc et de patchouli de son déodorant à mille lieues à la ronde.

— Rolando, rétorqué-je d'un ton morne. Quelle surprise.

Dix-neuf heures, pleine heure de pointe à la salle de sport. Encore trop remontée pour rentrer chez moi, j'ai filé récupérer ma voiture pour profiter du dernier créneau de la journée. Assise sur le bord du ring qui, par miracle, se trouve être libre, je bande soigneusement mes mains et mes poignets en prévision de la séance qui m'attend.

— Tu sais que je travaille ici, quand même...

Je relève les yeux pour sonder Rolando qui, du haut de son bon mètre quatre-vingt-dix, n'arbore rien d'autre qu'un sourire charmeur. Visiblement, le second degré n'est pas une qualité requise chez les profs de boxe.

— Oui, je sais, Rola... soupiré-je avant de revenir à mes bandes.

— Quel enthousiasme ! Moi qui pensais que tu serais contente de retrouver ton prof préféré...

— Excuse-moi, j'ai dû oublier ma bonne humeur sur un coin de la table en partant.

Comme pour illustrer mes dires, j'étire ma bouche en un rictus exagéré.

— Ouh là, je connais quelqu'un qui est de mauvais poil aujourd'hui...

N'importe quelle personne aurait saisi le signal et se serait subtilement éclipsée mais Rolando, lui, décide de s'asseoir à côté de moi.

— Qu'est-ce qui t'arrive, princesa ? Dis-moi tout.

Je repense à ma mère complètement paumée, à mon abruti de père, à l'évasion de Santiago que ces foutues forces de l'ordre n'ont pas réussi à empêcher, et je me demande comment ce monde si défectueux peut continuer de tourner.

— Pour être tout à fait honnête, je n'ai pas vraiment envie d'en parler, rétorqué-je sèchement.

— C'est pour ça que tu t'es assise là ? Tu comptes commencer ta séance par un combat ?

Je hoche la tête sans décoller les yeux de mes gants. Rolando ajoute alors calmement :

— Tu sais que ce n'est jamais très bon de monter énervé sur le ring ?

Comprenant qu'il ne va pas me lâcher de sitôt, je pousse un soupir avant d'ancrer mon regard dans ses iris sombres, où le brun se fond presque dans le noir de ses pupilles. Son visage aux traits doux est raffermi par la manière dont ses cheveux frisés sont rasés de près sur les côtés.

— Écoute, Rola, soupiré-je en relevant enfin la tête. Je ne t'ai pas demandé de m'affronter. Si tu n'es pas d'accord, tu n'as qu'à... partir ailleurs.

— Moi, partir ? répète le prof de boxe en relevant le menton d'un air de défi. Ce serait mal me connaître.

Je me contente de hausser les épaules, tandis que mon adversaire rejoint le ring en effectuant une série de petits sauts. Son marcel gris fait ressortir sa peau café au lait et les muscles tendus de ses biceps, mais il en faut plus pour me décourager. Une fois mes bandes bien serrées, je passe mes gants et monte à mon tour. Postée au centre du tapis, je le fixe d'un air déterminé et fléchis les jambes.

— Prête ? m'interroge-t-il.

— Prête, lui retourné-je.

À mon signal, Rolando se poste à son tour de trois quarts, jambes fléchies. Je ne perds pas de temps et envoie aussitôt un premier direct, qu'il esquive en baissant la tête.

Le parfum des ennuisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant